Anne Soupa: «Les autres vous donnent votre place»
«Marie, dans la Bible, ce n’est pas une potiche: c’est une féministe avant l’heure!» Le propos peut paraître saugrenu tant il casse les images catholiques convenues que la tradition a rendues mièvres et dévotionnelles. Or cet imaginaire, il s’agit d’en changer. Anne Soupa le soutient depuis des années. Elle en rend compte désormais dans un livre à quatre mains avec la théologienne Sylvaine Landrivon, paru à la rentrée (voir encadré).
On la rencontre donc pour l’interroger sur cet ouvrage consacré à la mère de Jésus. «Cette femme courageuse a répondu de manière audacieuse à un appel qu’elle a reconnu lui être adressé, et elle en a payé les conséquences au prix fort», explique Anne Soupa. Et d’ajouter – en citant les chrétiens des premiers siècles – qu’en ce sens Marie est bien «notre sœur», dont la trajectoire peut être inspirante pour toute personne croyante.
Une sororité non seulement revendiquée, mais bien réelle dans le cas d’Anne Soupa: elle aussi a pris la parole, en réponse à une autre parole, qui l’a propulsée sur le devant de la scène ecclésiale. C’était en 2008. Dans une interview, l’archevêque de Paris, président des évêques de France, avait affirmé, en parlant des femmes dans l’Eglise catholique, qu’«il ne suffit pas d’avoir une jupe, encore faut-il avoir quelque chose dans la tête». Déclaration jugée sexiste, «insultante pour les femmes», qui a fait naître la militance de celle qui alors «suivait le texte biblique comme le prophète Amos suivait son troupeau», se souvient la théologienne.
Avec l’autrice catholique Christine Pedotti, elle fonde le Comité de la jupe, groupe féministe qui attire l’attention des médias. «Les journalistes m’ont donné la parole, me laissant entendre que notre parole de femmes était nécessaire à côté de celle des évêques. Cela m’a placée au cœur de l’Eglise.» Une place qu’elle n’aurait jamais revendiquée, admet-elle: «Ce sont les autres qui vous donnent votre place.» Un peu comme pour la Vierge-Mère du Seigneur, qui n’aurait jamais embrassé d’elle-même le destin qui fut le sien.
«Dans la Bible, il y a trois catégories de personnes par qui la parole de Dieu se faufile: les femmes, les pauvres et les étrangers», explique Anne Soupa. En 2008, cette parole est passée par la voix des femmes. Mais il s’agissait de l’étoffer. La bibliste participe donc l’année suivante à la création de la Conférence catholique des baptisé·es francophones, visant à défendre plus largement le rôle des personnes laïques dans une institution «où le ministère presbytéral est sacralisé de manière insensée».
Pour donner corps à cet engagement, elle présente une douzaine d’années plus tard – à 73 ans – sa candidature à la succession de l’archevêque de Lyon. Une provocation. Car dans l’Eglise catholique il faut d’abord être prêtre, et donc homme, pour devenir évêque. «Cela a épanoui ma flamme de militante», reconnaît celle qui regrette pourtant que cette réputation d’activiste ait gommé aux yeux du public ses compétences de bibliste et de théologienne. «On vous colle souvent une image simplificatrice.»
Ce qui est d’autant plus vrai dans son cas que sa formation en théologie n’est intervenue qu’après des études de sciences politiques et de droit, puis une carrière en entreprise, parallèlement à son rôle de mère de quatre enfants. Elle a ensuite travaillé dans différentes revues catholiques, finissant par assumer la rédaction en chef du périodique Biblia, durant près de dix ans. Elle a également signé une douzaine de livres.
Aujourd’hui, elle dit être rentrée dans le rang, «comme Marie au début des Actes des apôtres: une disciple anonyme parmi les apôtres». Ce qu’elle voudrait partager désormais, c’est «une parole sur la spiritualité, sur l’expérience de Dieu». Une expérience dont elle consent qu’elle ne puisse être parfois «que le travail psychique de mon intériorité, rien d’autre que moi-même»… Une forme de doute et de modestie, affichés d’un air réfléchi et distingué, qui tranche avec la posture de militante qui lui colle à la peau.
Ce qui ne l’empêche pas de suivre l’actualité catholique. Comme ce grand «Synode sur la synodalité», en octobre à Rome, qui a en réalité évacué les enjeux brûlants, notamment la question de l’ordination des femmes: «L’institution est malade d’elle-même. Elle s’enkyste et s’ankylose. Mais le christianisme n’est pas mort: il vit de ses témoins!» C’est pourquoi elle a créé une association (www.chez-re-nee.com), qui accueille les témoignages de tous les chrétiens qui le souhaitent.
Bio express
1947 Naissance à Paris.
1968 Diplôme en études politiques.
1982 Maîtrise en droit.
1991 Habilitation doctorale en théologie. Ecrit pour les éditions Bayard et Cerf.
2001 Rédaction en chef de la revue Biblia.
2008 Fondation, avec Christine Pedotti, du Comité de la jupe et l’année suivante de la Conférence catholique des baptisé·es francophones.
2020 Candidature symbolique à la charge d’archevêque de Lyon, suivie de la création du Forum de l’évêque, lieu d’écoute et de partage en ligne, et du site annesoupa.fr.
2024 Lancement de chez-re-nee.com, plateforme pour «la renaissance du christianisme».
«Marie est celle qui ose»
«Non, Marie n’est pas une ‹potiche› qui se soumet à l’autorité de l’ange, ni une oie blanche qui se réfugierait dans le silence. Si elle ‹médite toutes choses dans son cœur›, elle ne craint pas de parler et ose même intervenir avec fermeté. Oui, Marie est celle qui ose. Elle est suffisamment confiante en Dieu pour contrevenir à une Loi qui n’aplanirait pas les chemins du Seigneur. Afin d’accueillir en elle l’inouï de Dieu, elle assume une transgression à peine imaginable, pour nous modernes. ‹Mon corps est à moi›, dit-elle bien avant MeToo.»
Marie telle que vous ne l’avez jamais vue, Anne Soupa et Sylvaine Landrivon, Editions Salvator, 2024, 224 p.
Parmi ses autres livres: Le jour où Luther a dit non (Editions Salvator, 2017) et Judas, le coupable idéal (Albin Michel, 2018).