Ces pasteurs qui cultivent le doute et se méfient des dogmes

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Ces pasteurs qui cultivent le doute et se méfient des dogmes

11 décembre 2002
Ils sont en paroisse, à l’Université, anonymes ou célèbres

Ils se disent reliés par un même état d’esprit, celui d’une liberté face aux doctrines et d’une indépendance intellectuelle qui les poussent à remettre en question quelques piliers du christianisme comme la doctrine trinitaire ou la filiation divine de Jésus. Eclairage sur ceux que l’on appelle les libéraux. « Là où l’erreur n’est pas libre, la vérité ne l’est pas non plus ». Pasteur et professeur à la retraite, Bernard Reymond affectionne cette citation d’Alexandre Vinet. En Suisse romande, l’homme est l’un des chefs de file de la théologie libérale à laquelle il vient d’ailleurs de consacrer un ouvrage (« Sur les traces des théologies libérales », Labor et Fides). « En fait, il faudrait mettre ce terme au pluriel, parce que ces théologies sont fort diverses et pas toujours d’accord entre elles. Mais elles se ressemblent toutes par leur manière de prendre de la distance envers les doctrines traditionnelles, pour juger librement de leur valeur intrinsèque et de leur pertinence ».

La Trinité ? D'après eux, une adaptation tardive des Ecritures. Elle a eu sa raison d’être durant les 3e et 4e siècle du christianisme. La résurrection ? A propos du tombeau vide, Bernard Reymond rappelle la formule d’Alfred Loisy : « une légende apologétique », et il cite, non sans un sourire approbateur, des collègues catholiques parlant aujourd’hui d’une « amplification liturgique ». Y voir la revivification du corps de Jésus et non le symbole d’une réalité qui l’emporte sur notre mort, c’est « transformer l’Evangile en traité d’anatomie ». Quant à la filiation divine de Jésus, son collègue lausannois Thomas Römer rappelle qu’il convient d’éviter une approche biologique : « Les anciens rois d’Israël étaient aussi appelés fils de Dieu. Cette expression signifie que Dieu se manifeste en Jésus ». Ou, pour le dire avec les mots de Bernard Reymond, le christianisme est la religion de la « Parole vive, qui est le Christ, et dont la Bible rend témoignage. Jésus qui devient Christ détermine notre manière d’être devant Dieu. Abandonnons l’idée que Dieu, en Christ, aurait mis en marche une sorte de mécanisme divin destiné à fabriquer notre salut presque indépendamment de nous ».

§Polémique apaiséeBigre: même à l’heure de la modernité, certains de ces propos passent encore mal aux oreilles d’une partie non négligeable du monde chrétien. Autrefois, ils étaient carrément synonymes d’hérésie, comme nous le rappelle la mort sur le bûcher de Michel Servet, le médecin espagnol qui niait le dogme trinitaire. « Effectivement, lorsque j’étais étudiant, les libéraux étaient fort mal vus d’une bonne partie de leurs pairs, se souvient Bernard Reymond. Aujourd’hui, les choses se sont bien apaisées ».

La preuve ? Les libéraux disposent de journaux - « Evangile et Liberté » en France, « Le Protestant » chez nous - et organisent des « journées libérales » et autres « universités d’automne du protestantisme libéral ». Par ailleurs, quelques téléphones suffisent à trouver les noms de ministres de paroisse qui ne cherchent nullement à cacher leur appartenance de pensée. « La théologie libérale, c’est pour moi un état d’esprit, une indépendance intellectuelle », explique à Genève Vincent Schmidt. Le pasteur de la cathédrale St-Pierre parle aussi d’un effort pour se libérer du « carcan dogmatique » qui enserre les spiritualités. En poste depuis plus de 17 ans, il croit fermement qu’il existe une place dans l’Eglise pour dire ce type de démarche. « Il y a quelques années, le modérateur de l’Eglise unie canadienne a annoncé que la majorité des ministres ne croyait plus en la divinité de Jésus. Après un important scandale, cela a finalement été accepté ».

§Ne pas occulter le message essentielLe credo libéral vise à rejoindre les gens dans leurs préoccupations à travers une réactualisation permanente des Ecritures. Spécialiste de l’Ancien Testament à l’Université de Lausanne, Thomas Römer souligne que c’est ainsi que « la Parole devient libératrice, bonne nouvelle offrant aux personnes d’être acceptées, accueillies. Non une adhésion aveugle à une doctrine ». Pour ce professeur, cette espérance-là ne peut être dite de la même façon qu’au XVIe siècle. « Beaucoup de dogmes chrétiens ne sont tout simplement plus compréhensibles. Il faut les repenser, et ils ne doivent en aucun cas se substituer au message essentiel ».

Rejoindre les gens, c’est parfois aller loin. Dans sa paroisse de Colombier (canton de Neuchâtel), Stéphane Rouèche ne s’offusque pas lorsque des futurs mariés préfèrent ne pas prononcer le vocable de Dieu durant la cérémonie. « Beaucoup de jeunes couples ne se retrouvent pas dans la formulation biblique de la bénédiction du mariage. Je rappelle qu’en tant que ministre, je représente une tradition et que je me réfère à l’Evangile, message que je vis et que j’ai envie de partager. Mais je peux apporter cette Parole avec d’autres mots que ceux du dimanche matin ». Stéphane Rouèche dit ne pas être là pour imposer une doctrine. « Le Christ, par exemple, est pour moi le meilleur exemple d’une relation authentique et profonde avec Dieu ».

§« Exclure le doute, c’est bannir la foi »Dans ce même canton, à Cortaillod, Fabrice Demarle note qu’il ressent la foi comme affaire de confiance, non de certitude. "Lors des services funèbres, notamment, je ne peux assurer de ce qui existe après la mort. En revanche, je peux tenter d’établir pour les personnes endeuillées une relation de confiance avec Dieu». Tous les mardis matins, le jeune ministre anime un café où certains avouent leur surprise de rencontrer un pasteur poussant au questionnement. « J’ai un style assez direct et avec moi, les choses ne vont pas de soi. Il faut confronter notre foi avec celle de l’autre, la remettre en question ».

Quelle que soit leur pratique ou leur niveau d’approfondissement des textes, tous rejettent fermement l’accusation d’agnosticisme souvent faites aux libéraux. Vincent Schmidt : « Nous cultivons un certain type de questionnement, en partant des problèmes actuels et non par exemple du salut, qui n’a plus l’importance qu’il revêtait pour les Réformateurs. Le doute constitue pour moi une alliance nécessaire avec ma foi. D’ailleurs, c’est en chacun de nous que se situe la séparation entre foi et athéisme ». Les théologiens libéraux réclament le droit de douter. Bernard Reymond : « Exclure le doute, c’est bannir la foi. L’homme qui doute sait qu’il doit s’en remettre à Dieu ».