Les homosexuels fuient la Tanzanie face aux répressions policières
La chaleur est étouffante à Isebania, ville du nord de la Tanzanie. Assis à l’ombre, Joseph Omar est fatigué. Entre deux gorgées d’eau, le jeune homme de 28 ans raconte qu’il s’apprête à traverser la frontière pour trouver refuge au Kenya, pays voisin, car le gouvernement tanzanien a commencé à arrêter des homosexuels présumés. «Je crains pour ma vie. Ils ne veulent pas que nous restions ici, explique Joseph Omar. La communauté gay a très peur, parce que la police s'introduit par effraction dans les maisons de personnes soupçonnées d'être homosexuelles et les arrête. Je ne veux pas être le prochain. Je vais me cacher.» Omar fait partie des centaines de personnes homosexuelles et transgenres de ce pays d'Afrique de l'Est qui fuient de plus en plus vers les pays voisins après que les autorités aient exhorté la population, en octobre dernier, à signaler les noms des homosexuels présumés à la police, pour qu'ils soient mis en prison.
Arrestations à la chaîne
Au début du mois de novembre, dix hommes soupçonnés d’être homosexuels ont été arrêtés sur l'île de Zanzibar, sur la côte est de l’Afrique. La police avait été informée par des civils qu’un mariage homosexuel était prévu dans un hôtel à Pongwe Beach. Les arrestations et la panique au sein de la communauté gay sont survenues quelques jours après que Paul Makonda, gouverneur de la capitale économique de la Tanzanie, Dar es Salaam, ait formé une escouade de police pour traquer les homosexuels et appelé la population à la délation. «Donnez-moi leurs noms», a exhorté Paul Makonda, proche allié du président John Magufuli, lors d'une conférence de presse le 29 octobre dernier. «J'ai reçu des rapports selon lesquels il y a beaucoup d'homosexuels dans notre région, et qu’ils s’affichent et qu’ils vendent leurs services sur les réseaux sociaux. Mon équipe spéciale va commencer à mettre la main dessus.»
L'homosexualité est illégale en Tanzanie en vertu d'une loi datant de l'époque coloniale. Elle peut conduire à une peine allant jusqu'à 30 ans d'emprisonnement. Cependant, la loi est rarement appliquée. Mais le harcèlement contre les homosexuels a augmenté depuis l'arrivée au pouvoir de John Magufuli en 2015, contraignant des centaines de personnes à se cacher de l'autre côté de la frontière. Le gouvernement tanzanien a récemment fermé des organisations de la société civile et arrêté des militants qui soutiennent les homosexuels. En août 2016, les autorités ont ordonné la cessation de projets de sensibilisation au VIH/sida visant à aider les hommes gay. Les programmes financés par les États-Unis qui fournissent des soins médicaux à la communauté gay ont également été interdits. Les activistes ont expliqué que la religion jouait un rôle dans l'augmentation de la stigmatisation de la communauté gay. Selon eux, les évangéliques, l'Église pentecôtiste et d'autres groupes religieux ont un programme anti-homosexuel.
La religion instrumentalisée
James Wandera est le fondateur de LGBT Voice Tanzania, qui œuvre pour les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres) en Tanzanie. Il affirme qu'il n'y a pas d'autre groupe dans le pays qui tente de soutenir la communauté LGBT et que la situation s'aggrave. «Nous n'avons pas d'autre choix que de nous cacher jusqu'à ce que les choses s'améliorent. La communauté gay vit dans la peur et certains ont fui vers d'autres pays. Mais nous sommes prêts à défendre ceux qui ont été arrêtés par le gouvernement», déclare-t-il. Pour Paul Makonda, qui a ordonné la répression anti-gay, l’organisation fait ouvertement la promotion des droits des LGBT. Ce haut fonctionnaire chrétien s’est récemment rendu dans une église pentecôtiste de Dar es Salaam. «Je suis venu ici pour prier afin que Dieu me donne des pouvoirs divins pour lutter contre l'homosexualité», racontait Paul Makonda en pleurant devant une grande assemblée. «Je crois aux prières et je sais que Dieu y répondra lorsque j'aborderai cette question.»
Pour James Wandera, avec de telles prières, Paul Makonda sème la haine entre les citoyens et la communauté gay en utilisant la religion. «Paul Makonda a réussi à faire croire aux gens que les personnes LGBT sont mauvaises et qu'elles ne peuvent pas vivre avec les autres. Il ne devrait pas utiliser la religion ou la loi pour séparer les citoyens en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité sexuelle», précise-t-il.
La communauté internationale préoccupée
La tension dans le pays a incité les États-Unis et les organisations internationales critiquent sévèrement ce pays d'Afrique de l'Est pour violation des droits de l'homme et des libertés civiles. «Le gouvernement des États-Unis est profondément préoccupé par l'escalade des attaques et des mesures législatives du gouvernement tanzanien qui violent les libertés civiles et les droits de l'homme», a déclaré le département d'État des États-Unis dans un communiqué publié le 9 novembre. «Nous sommes préoccupés par les arrestations et le harcèlement incessants de personnes marginalisées, y compris les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et autres, qui cherchent à exercer leur droit à la liberté de parole, d'association et de réunion.»
À Isebania, Joseph Omar a supplié les autorités de comprendre que le fait d’être gay ne relevait pas de son propre désir. «Je n'ai pas choisi d'être gay, et Dieu seul en connaît la raison», a-t-il lâché en franchissant la frontière du Kenya. «Je retournerai dans mon pays quand la situation se sera calmée. Je ne veux pas mourir ou être emprisonné.»