«C'est une question de temps»
«Anxieuse? Je le suis la nuit quand je pense à l’état de la planète. Mais là tout de suite, je me sens plutôt sereine», affirme Claire, en s’approchant du pont Bessières. Là tout de suite, on est vendredi 20 septembre, il est 11h30, et plusieurs dizaines de militants arrivent sur les lieux. En quelques minutes, ils vident le pont de toute circulation, et la bloquent dans les deux sens. Devant une vingtaine de journalistes et des badauds étonnés, assis au sol, derrière de grandes banderoles «Rébellion pour la vie» et «Non-violence», les militants d’Extinction Rebellion scandent le nom de cette organisation fondée il y a un an en Grande-Bretagne par un chercheur en désobéissance civile au King’s College de Londres.
Organisation millimétrée
Soudain, des hourras et les manifestants qui s’écartent pour laisser passer une remorque: ce sont les toilettes sèches. L’organisation de l’événement a duré un mois et rien n’a été laissé au hasard: repérables à leurs brassards, une série de soutiens assistent les manifestants. En jaune les porte-parole, en gris, les observateurs juridiques neutres, en saumon, ceux qui sont là pour calmer les choses si elles devaient s’envenimer.
On trouve aussi des infirmiers. Et chaque participant possède un «ange gardien», sur qui il peut compter pour s’alimenter et qui se charge de savoir ce qu’il devient en cas d’interpellation. Depuis des semaines, les manifestants communiquent sur une messagerie cryptée. Ils ont prévenu la police qu’ils agiraient, mais n’ont pas dit où ni quand. Ils ont même prévu une procédure en cas de débordement. «On ne veut pas d’alcool, on ne veut pas de drogue. On est là pour durer, pas passer pour des guignols.»
Sentiment de déni
Car pour Extinction Rebellion, il y a urgence. L’organisation se base sur les constats scientifiques, notamment des travaux d’une centaine de scientifiques français, préparatoires à ceux du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’énergie et le climat (GIEC) qui ont conclu, début septembre, que le réchauffement climatique serait plus important que prévu. «Nous avons un sentiment de déni sur ces questions. J’ai quatre enfants. C’est impossible et anxiogène d’imaginer que dans vingt ans ils vont mourir à cause de ces changements. Nous demandons que le Conseil fédéral dise la vérité haut et fort. Pour permettre une action tout de suite», explique Etienne, le porte-parole du jour, quinquagénaire, pantalon moutarde, lunettes et cheveux grisonnants. «Pourquoi la désobéissance civile ? C’est une question de temps, surtout avec notre démocratie: ce temps politique n’est plus adapté.»
Parmi les manifestants, des quinquagénaires, comme Myriam, céramiste qui a rejoint le mouvement parce que «sa détermination et ses revendications claires» lui plaisaient, ou des ados, comme Louis, 17 ans, qui a demandé à son gymnase s’il pouvait s’absenter pour la journée. «Je pense qu’il faut une pluralité d’actions, juridiques, contre l’Etat, sur le long terme, et de désobéissance, sur le court terme.»
Un terme très court en effet: après huit heures, les manifestants seront dégagés par la police. Autour, certains badauds s’intéressent. Parmi eux, Maël, gymnasien de 17 ans. «Je crois, comme eux, qu’on va dans le mur. Mais les chiffres sur lesquels ils se basent sont-ils sérieux? Et est-ce qu’on peut vraiment éviter de poursuivre la croissance économique?» Si le blocage n’a duré qu’une journée, d’autres ont suivi et devraient encore avoir lieu. Et les questions, elles, envahissent les consciences.