Comment le coronavirus interroge les aumôniers de la santé
Cette épidémie ouvre une réflexion au carrefour du médical, du psychologique ou du spirituel, estime Annette Mayer de l’aumônerie du CHUV, à Lausanne. «C’est un grand coup d’alerte à ne pas minimiser, le côté sombre de la mondialisation. Le coronavirus nous repose avec pertinence la question de la vulnérabilité. C’est-à-dire que la maladie est pour ainsi dire innée à notre condition humaine. Nous vivons dans une société où il n’y pas de problèmes, mais que des solutions. Nous voulons toujours être au top du top dans tous les domaines, nous voulons tout avoir en main et voilà qu’un virus enraye toute la machine.»
Ne plus serrer la main
Au niveau de l’aumônerie du grand hôpital lausannois, le coronavirus n’a pas amené de changements importants, à part la suppression des célébrations religieuses. Les visites individuelles se poursuivent normalement et les mesures d’hygiène sont les mêmes que pour le personnel en général, à peine plus sévères qu’auparavant. «Le CHUV nous tient informés très régulièrement de l’évolution. Il y a eu des séances d’information de la direction avec le personnel. Il n’est absolument pas question de panique à bord», explique Annette Mayer. Le plus visible est l’annulation ou le report de rassemblements ou de colloques, comme les hôpitaux universitaires en organisent souvent.
«Le fait de ne plus pouvoir serrer la main ou toucher les personnes est un peu perturbant au niveau du contact. Heureusement, nous ne sommes pas obligés de porter un masque et nous n’avons pas été soumis à un dépistage. Les patients en parlent assez peu et n’expriment pas de craintes particulières. Plusieurs m’ont répondu: “Il faut bien mourir de quelque chose.“»
«Si un malade du coronavirus m’appelle, j’y vais»
Christophe Pont, responsable de l’aumônerie de l’Hôpital du Valais, n’exprime pas non plus de crainte particulière. «Si un malade du coronavirus m’appelle auprès de lui, je mets ma veste et j’y vais.»
Comme ailleurs, l’Hôpital valaisan a supprimé la célébration des messes. «Globalement nous limitons les contacts avec l’extérieur. Nous avons ainsi demandé aux auxiliaires bénévoles qui venaient des paroisses, notamment pour apporter la communion, de rester chez eux. Nous effectuons ce service nous-mêmes. Sans que des règles supplémentaires ne nous soient imposées.» Les visites des membres de l’aumônerie se poursuivent normalement. Après avoir accompagné récemment plusieurs malades en fin de vie, Christophe Pont estime même un peu surfait l’impact médiatique du coronavirus. Il appliquera cependant consciencieusement les mesures dictées par les autorités.
La solitude des personnes âgées
Mêmes consignes de sécurité pour Hans-Ruedi Meier, aumônier du Groupement hospitalier de l’Ouest lémanique, avec en plus le port du masque dans les établissements médico-sociaux de personnes âgées (EMS). Au cours des visites particulières, il n’a eu que peu de remarques liées au coronavirus. Il pointe cependant une diminution sensible du nombre de visiteurs dans les établissements de santé. «Cela fait craindre, aux personnes âgées une solitude encore plus grande.»
C’est aussi auprès des visiteurs qu’Évelyne Oberson, aumônière aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), a ressenti le plus d’inquiétude et de stress. Par exemple auprès d’une maman venue voir sa fille à la maternité où elle venait d’accoucher. «Je lui ai expliqué que le risque, dans ce service séparé des autres, était tout à fait minime et que sa fille n’était pas malade.» Fondamentalement coronavirus ou pas, le rôle et l’attitude de l’aumônière ne change pas. Il est d’abord centré sur l’écoute et l’empathie. Pour le reste aux HUG, il n’y a plus de manifestations publiques. Messes et cultes sont suspendus. «Nous suivons l’évolution au jour le jour.»
«Nous avons décidé aujourd’hui de porter un masque lors de nos visites aux malades», explique Stéphane Bergerotto, responsable de l’aumônerie de l’Hôpital du Jura. «Ce n’est pas tout à fait inédit puisque nous le faisions déjà pour la grippe saisonnière. La différence est qu’il n’existe pas de vaccin pour le coronavirus.» Du côté des gens il a rencontré des personnes très inquiètes et d’autres qui ne s’en font pas, à l’image de la population globale.
Un climat anxiogène dans les EMS
Agnès Chavanne, responsable de l’aumônerie pour les EMS dans le canton du Jura, avoue sa perplexité devant une situation paradoxale. «Notre mission d’aumônier est d’aller vers les plus vulnérables que sont les personnes dans le grand âge, mais en même temps, nous devons éviter de les mettre en danger en risquant de leur transmettre la maladie. C’est un défi éthique difficile. Je m’en remets aux directives du diocèse de Bâle et à celles des directions d’EMS. Je dois désormais porter un masque et des gants. C’est difficile, car avec un masque les gens ne me comprennent plus.»
Dans les EMS, le personnel évite d’en parler, mais les résidents sont au courant par la télévision et les journaux. «Contrairement à ce que certains disent, je crois qu’il y a un climat anxiogène renforcé par le fait que les gens ne comprennent pas et ne retiennent que 20% à 30% de ce qui est dit.» Pour Agnès Chavanne, les personnes âgées sont bien conscientes qu’elles sont entrées dans la dernière étape de leur vie, mais pratiquement toutes préféreraient qu’elle dure cinq ans plutôt que trois semaines. Elles restent le plus souvent attachées à la vie malgré tout. En outre, comme la grippe touche les voies respiratoires, la difficulté de respirer rejoint une peur assez fondamentale de l’être humain.
Le coronavirus interroge sur la solidarité
«Le coronavirus nous interroge sur notre finitude, mais aussi sur notre vivre ensemble sur nos manières de consommer, de voyager, etc. Notre médecine 5 étoiles avait en quelque sorte remplacé Dieu, mais nous constatons qu’elle n’est pas toute puissante», commente Agnès Chavanne.
Pour Annette Mayer, le rappel du coronavirus «nous interroge sur des notions comme la solidarité, le souci des faibles et des démunis, le regard sur l’étranger, l’ouverture ou le repli sur soi. La droite populiste utilise déjà ce thème pour justifier l’isolement de la Suisse», déplore-t-elle.
«Je suis frappé de voir comment la réalité ‘invisible’ du coronavirus peut paralyser le monde, mais en même temps cela nous rappelle que d’autres réalités invisibles d’un autre ordre nous font vivre. En termes de sens, il s’agit d’un signal d’alarme», conclut Stéphane Bergerotto (cath.ch/mp)