Le jeûne chez les protestants: mieux vaut s’abstenir que d’en faire une pénitence
Le délaissement de la pratique du jeûne chez les protestants est dû à l’opposition des réformateurs aux «dérives de l’Eglise de leur époque», explique Martina Schmidt, secrétaire romande de Pain pour le prochain. Les réformateurs rejetaient, en effet les pratiques d’autojustification. «Toute ma vie est pénitence», écrivait Luther fermant ainsi la porte à toute pratique de pénitence.
Pas de jeûne plutôt qu’un mauvais jeûne
«Pour Calvin, il vaut mieux s’abstenir de jeûner que de le faire pour des mauvaises raisons», explique la théologienne. Calvin s’appuyait sur le texte du sermon sur la montagne de Jésus (Mathieu 6:16): «Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air sombre, comme font les hypocrites: ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. En vérité, je vous le déclare: ils ont reçu leur récompense.»
De fait, Calvin «était farouchement opposé à sa pratique individuelle. Le Christ a jeûné 40 jours dans le désert, mais pour Calvin cela doit rester l’acte unique du Christ. Par contre, il valorisait le jeûne collectif.» Dans un groupe, s’installe un contrôle mutuel et le fait d’agir en communauté évite que les participants ne s’enorgueillissent de leur exploit.
«Luther en a fait l’expérience comme moine augustinien. Pourtant, il ne préconise pas le jeûne spirituel. Il recommande, par contre des jeûnes communautaires avant les grandes fêtes. De là est née l’idée de ne pas manger de viande à partir du vendredi.»
Ainsi, pour Martina Schmidt: «Ce n’est pas un hasard si les cantons protestants pratiquent le jeûne fédéral. Derrière, il y a l’idée de solidarité avec les personnes dans la détresse dans les pays en développement. Ce n’est pas une justification mais une pratique de réflexion et de partage, et –quand même– d’expiation quant au niveau de vie confortable dont nous jouissons en Suisse.»
Succès grandissant du jeûne
Dans le cadre de la campagne œcuménique, Pain pour le prochain et Action de Carême invitent les croyants à une semaine de jeûne durant la période du carême. «Nous avons inventé le jeûne œcuménique», sourit Martina Schmidt. Cette pratique initiée en Suisse romande rencontre un succès grandissant: cette année, l’action a traversé la Sarine avec près d’une trentaine de groupes formés en Suisse allemande. «Les gens sont à la recherche de ce type de vécus spirituels», explique la théologienne.
«Le jeûne de l’action œcuménique leur permet de vivre une expérience spirituelle et corporelle.» De fait, cette pratique n’attire pas uniquement des personnes très liées à l’Eglise. «Cela a ouvert les portes de la communautés d’Eglise à des personnes qui en étaient un peu plus éloignées.»
Martina Schmidt avoue n’avoir elle-même jamais jeûné. «La période du carême est probablement la période où je suis la plus chargée au niveau professionnel, en plus, cela tombe durant ma préparation pour le Champion solidaire, une action conjointe des trois œuvres protestantes et de l’Eglise Evangélique Réformée du Canton de Vaud dans le cadre des 20km de Lausanne», explique la jeune femme sportive.
«Mais je suis persuadée que le jeûne change quelque chose dans la perception qu’ont les pratiquants de leur vie». Le contact avec les groupes lui donne d’ailleurs envie de vivre cette expérience. «Les jeûneurs se disent enrichis par le vécu en groupe –ils se rencontrent tous les jours pour un moment de partage– et une complicité s’installe entre eux. Ils parlent également de leurs expériences spirituelles. Enfin, ils racontent comment la faim disparaît, mais pas l’envie. Et combien la pomme, utilisée pour rompre le jeûne, a une saveur incroyable.»
Une pratique addictive?
Le jeûne serait une pratique d’une telle intensité que l’on pourrait craindre une dépendance. «Dans les groupes, nous insistons sur l’importance de ne pas le faire trop souvent, ni trop longtemps durant une année. Nous mettons aussi en garde les gens qui ont une santé fragile. Par exemple, nous invitons les gens à ne le faire que pendant la période du carême.»
Les personnes pratiquant le jeûne y voient trois axes. Premièrement, il s’agit d’une purification du corps. «Pas mal de gens cherchent à se faire du bien par cette pratique», reconnaît Martina Schmidt.
C’est aussi une pratique spirituelle. Enfin, il y a un aspect de solidarité avec ceux et celles qui sont contraints à la privation alimentaire. «L’idée est quand même que le jeûne s’accompagne d’un don équivalent à ce que l’on n’a pas consommé durant cette semaine-là», rappelle la secrétaire romande de Pain pour le prochain.
«Moi, j’ajoute un axe politique à cette action. Les personnes qui jeûnent montrent que l’on peut vivre mieux avec moins.»
Pour en savoir plus
Les consignes relatives au jeûne sont disponibles sur le site de l'action œcuménique.
Jeûner pour la justice climatique
La Fédération luthérienne mondiale appelle à un jour de jeûne en faveur de la justice climatique le premier jour de chaque mois de 2014. «Une façon d’exprimer la solidarité avec les plus vulnérables, qui sont déjà touchés par les changements climatiques», explique le communiquéde l’organisation. «Les communautés religieuses pourront ainsi exprimer leurs inquiétudes au sujet du changement climatique et de la justice climatique. Elles pourront exprimer publiquement leur foi, leurs valeurs spirituelles et éthiques et montrer leur engagement pour engager les transformations nécessaires, au niveau de leur communauté mais aussi en faisant pression sur les gouvernements pour qu’ils travaillent à des objectifs plus ambitieux lors des négociations