«On peut oser le miracle»
Que faire des récits de miracles présents dans la Bible? Phénomènes naturels ou simples allégories: telle est la question sur laquelle ont débattu des générations entières de théologiens. Se refusant à écarter ces récits si prégnants dans les Évangiles en raison de leur difficulté, le pasteur de l’Église protestante de Genève Marc Pernot, par ailleurs webmaster du site www.jecherchedieu.ch, a choisi de les empoigner franchement, en en faisant le thème central de sa nouvelle série de conférences, à l’Espace Fusterie. Rencontre.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de consacrer ce nouveau cycle de conférences aux miracles de la Bible?
La démarche de ces conférences est d’essayer d’ouvrir un peu tout le monde au texte biblique, parce que trop souvent la Bible est cantonnée à la sacristie. C’est-à-dire que certains chrétiens ont tendance à trop le sacraliser et, de l’autre côté, les personnes laïques estiment qu’il ne s’agit là que d’un bazar religieux. Or je crois que c’est dommage pour tout le monde, parce que la Bible rassemble des textes extraordinaires, qui sont un patrimoine mondial, comme L’Odyssée ou les textes de Platon. Ça fait vraiment partie des racines de notre culture, de notre civilisation, et tout le monde est digne de les lire, de les interpréter et d’y trouver un grand bénéfice.
Soit. Mais parler de miracles, est-ce encore audible à notre époque?
Précisément, c’est parce que les récits de miracle (Jésus marchant sur l’eau, les guérisons, résurrections des morts, la multiplication des pains, etc, ndlr.) posent une difficulté au lecteur qu’ils me semblent au contraire passionnants. D’abord pour certains, ils apparaissent comme une offense à l’intelligence. Depuis Galilée, on n’a plus envie de sacrifier notre raison sur l’autel de choses abracadabrantes. Par ailleurs, les miracles peuvent aussi s’avérer dangereux, comme lorsqu’ils sont captés par des sectes improbables pour aliéner les gens, en affirmant: «Notre Église a la télécommande pour avoir accès à ce Dieu tout-puissant, qui peut donner dans votre vie des miracles, et vous sauver contre l’impossible, de la maladie, des catastrophes ou je ne sais quoi.» Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit.
De quelle manière doit-on alors interpréter ces récits?
On a souvent l’impression, dans nos vies, d’être face aux événements du monde comme devant un rouleau compresseur. Les événements arrivent, comme cette pandémie ou plus largement la marche du monde, et on a le sentiment d’être devant une sorte d’organisme puissant qui nous emporte et face auquel on n’a plus aucune liberté. On est mis devant une sorte de fatalité, devant laquelle le superstitieux se dit «bah, c’était écrit d’avance, qu’est-ce qu’on peut y faire?», l’orgueilleux se vante d’être «de toute façon, invincible», et l’endormi ne se pose même pas de questions, il est entraîné par ça comme une feuille morte par le vent. Or, le miracle nous appelle à sortir de cette fatalité.
Comment cela?
Le miracle marque une rupture, il nous enseigne que tout n’est pas fatalité, qu’il peut y a avoir de l’inattendu, du neuf, du jamais-vu qui arrive dans nos vies. On peut donc arrêter de toujours s’autocensurer en se disant que «ce n’est pas possible», que «cela a toujours été ainsi», que «cela ne changera pas». Non. On peut oser le miracle, lui faire une place.
Souvent, à partir des Lumières, les théologiens ont fait de ces récits des lectures symboliques, c’est-à-dire qu’ils les ont transformés en expériences psychologiques ou en leçons de sagesse. Ce n’est pas faux, il y a indubitablement une leçon de sagesse à tirer de ces récits, mais à mon avis, ce genre de lecture aplatit trop le texte. Du coup, on formule que c’est par notre sagesse que nous pouvons nous sauver. Or je pense que le miracle justement, c’est l’apparition de quelque chose qui est de l’ordre du spécial qui intervient dans le cours de notre existence.
Donc on ne serait pas dans le registre purement allégorique, mais face à une réalité physique?
Oui, je crois qu’il y a quelque chose de plus qui nous fait sortir de notre fatalité. On le voit dans l’écoute pastorale, quand on accompagne des personnes. Beaucoup nous disent «sans la foi, je n’y serais pas arrivé». Et il ne s’agit pas simplement d’une bonne sagesse, c’est quelque chose qui leur a permis, si je puis dire, de marcher sur l’eau.
Est-ce à dire que vous assimilez la foi à un miracle?
Oui, je pense que la foi est de l’ordre du miracle, dans le sens d’un franchissement inattendu vers un nouvel horizon. C’est pour ça que je m’intéresse à Moïse qui ouvre la mer, car il y a bien dans la foi une sorte de franchissement vers une autre réalité. Dans ce mythe fondateur, c’est Dieu qui nous a faits sortir d’Égypte, qui nous a mis dans ce mouvement, qui nous a libérés. Et donc ce miracle devient une sorte de paradigme: c’est ça qu’il faut vivre. Ce miracle, il faut se l’approprier, le vivre spirituellement et existentiellement dans notre vie quotidienne.
Mais qu’en est-il de cette question des miracles pour les non-croyants?
Pour le croyant, on peut dire qu’il y a Dieu qui intervient dans notre existence, c’est vrai. Pour nous, c’est un Dieu transcendant et personnel, mais pour le non-croyant, il s’agit aussi de rechercher ce qui fait source dans son existence – comme dit Paul, «de vie, de mouvement et d’être». Certains diront que c’est l’amour, d’autres la sagesse ou encore l’émerveillement face à la nature. Mais quel que soit le nom qu’on lui donne, chacun est appelé à découvrir ce qui, en lui, est supplément d’être.
Au programme
1. La mer comme un passage :
comment faire face au chaos qui frappe nos existences et l’histoire humaine ?
La traversée de la mer rouge puis du Jourdain, Jonas au fond d’un poisson au fond de la mer, Jésus calme la tempête et marche sur l’eau.
2. À boire et à manger en abondance :
qu’est-ce qui alimente notre personnalité ?
Moïse et sa baguette magique, la manne, le rocher-source qui marche, le pot de farine jamais vide, Jésus change l’eau en vin, multiplie les pains et les poissons, offre sa chair à manger.
3. Un corps en pleine forme:
qu’est-ce qui peut rendre une vie plus vivante?
Jésus guérit un aveugle, un paralytique, un lépreux, un muet, une main sèche et même la grippe de la belle-mère de Pierre
4. Les morts sortent des tombeaux:
être vivant au delà de la simple survie?
Élie ressuscite un enfant, des ossements reprennent vie, Jésus, la fille de Jaïrus, Marthe et Lazare, une foule de morts entrent dans Jérusalem et Jésus est vivant.
Espace Fusterie, les mardi 15, 22, 29 septembre et 6 octobre. De 12 h 30 à 13 h 30. Entrée libre.