Depuis toujours, ce qui préoccupe Amri Dziri, professeur d’études islamiques au Centre suisse islam et société de Fribourg, c’est la construction du savoir religieux musulman, et en particulier de la norme. Depuis janvier, ce chercheur qui travaille «dans une perspective scientifique, interne et européenne» codirige une recherche internationale de 27 chercheur·euse·s d’une quinzaine de pays. Leur mission? Comprendre, «quels que soient le siècle ou le lieu», comment se constituent des canons, en matière islamique. Un canon, c’est «un texte, une personne, ou une opinion qui deviennent incontestables, qui obtiennent une autorité pour un certain temps», précise Amir Dziri.

A ce stade, l’équipe de recherche financée par l’Académie pour l’islam et le savoir dans la société (Université de Francfort-sur-le-Main) est déjà arrivée à quelques pistes fondamentales. Notamment qu’«il n’y a jamais eu de canon incontestable sur une durée donnée, mais toujours des processus de rivalité qui conduisent à l’établissement d’une référence». Autre clé: «Aucun canon musulman n’est tombé du ciel, tous sont issus d’une série de causes et de conséquences très profanes, par exemple la figure d’un souverain qui favorise une opinion ou une personne.» Bien entendu, une fois le canon établi, les processus de négociation sont effacés: «Personne n’a intérêt à les rouvrir sous peine de raviver des conflits passés.» Enfin, sans surprise, les concepts de canonisation et la masculinité sont très liés: dans la validation de ce qui est une pensée légitime ou non, il semble qu’à quelques exceptions près, les femmes n’ont pas de rôle très actif.

Pour Amir Dziri, il est trop tôt pour affirmer – comme c’est souvent enseigné – que la pensée musulmane a connu des périodes de déclin ou d’essor. «Les arguments pour ou contre peuvent se discuter. La fin de notre recherche permettra d’en savoir plus.»