Des femmes musulmanes américaines agressées à cause de leur voile

Ateliers de self-defense pour femmes voilées / Youtube
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Ateliers de self-defense pour femmes voilées
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Des femmes musulmanes américaines agressées à cause de leur voile

Yonat Shimron
21 décembre 2016
Depuis le début de la campagne de Donald Trump, les taux d’agressions et d’intimidations à l’encontre des musulmans aux Etats-Unis ont atteint les niveaux records enregistrés peu après les attentats de New York. Pour leur sécurité, des imams recommandent aux femmes de renoncer au voile.

Melissa Grajek a été soumise à toutes sortes de railleries parce qu’elle portait le hijab, mais un incident au lac Discovery à San Marcos en Californie a envenimé l’affaire. Son fils de un an jouait avec un autre garçon quand le père de ce dernier, furieux, a éloigné son fils, en disant à Melissa Grajek: «Je ne peux pas attendre que Trump soit président pour qu’il vous renvoie d’où vous venez». L’homme a alors ramassé une poignée de copeaux de bois et les a jetés sur le fils de la jeune mère.

C’en était trop pour Melissa Grajek qui décida d’enlever son voile. «J’avais été indécise par rapport au port du hijab, mais cet incident a clairement fait comprendre que mes choix religieux pourraient nuire à mon fils», a-t-elle déclaré.

La décision de Melissa Grajek de se débarrasser de son voile fait suite à des témoignages hebdomadaires, voire quotidiens, de femmes musulmanes agressées. Début décembre, Ilhan Omar, la nouvelle représentante de l’État de Minneapolis, alors qu’elle quittait la Maison-Blanche où elle était venue parler de nouvelles initiatives politiques, s’est fait alpaguer par un chauffeur de taxi qui a menacé de jeter son hijab en criant «Daesch».

«Retournez dans votre pays!»

Un jour plus tôt, un homme a poussé une employée des transports publics de New York dans un escalier, au Terminal Grand Central de Manhattan, en criant: «Vous êtes une terroriste, retournez dans votre propre pays!» Et fin novembre à Brooklyn, un autre homme a menacé avec son pit-bull une officière de police en civile et son fils, les sommant de «retourner dans leur pays». Ces trois femmes portaient un hijab.

Les agressions ou l’intimidation à l’encontre des musulmans ont progressivement augmenté bien avant les élections présidentielles, mais ils sont devenus plus fréquents lors de la campagne du président élu Donald Trump, qui a appelé à une interdiction des immigrants musulmans et proposé d’instaurer un registre pour les musulmans américains.

Nombre d'agressions record

Une analyse Pew Research Center à propos des statistiques du FBI sur les crimes haineux a montré que l’an dernier le nombre d’agressions physiques contre les musulmans a égalé les taux records de la période qui a suivi le 11 septembre 2001. Le nombre de crimes d’intimidation anti-musulmans— définis comme une menace de blessures physiques— a également augmenté. Actuellement, certains imams aux Etats-Unis considèrent que les femmes peuvent enlever leur hijab, au moins temporairement.

L’imam Abdullah Antepli a récemment demandé à un groupe de femmes de l’Association islamique de Raleigh, en Caroline du Nord, combien d’entre elles se sentaient en danger en public à cause de leur voile. Des dizaines ont levé la main. Il leur a alors dit que les circonstances extraordinaires que traversent les musulmans d’Amérique requièrent des mesures extraordinaires, incluant renoncer au hijab, au moins temporairement.

Renoncer par souci de sécurité

«Je ne veux pas me montrer alarmiste», a déclaré Abdullah Antepli, représentant responsable des affaires musulmanes à l’Université Duke. «Mais la nation est entraînée vers une situation explosive. Nous devons penser différemment.» L’appel de cet imam à retirer le hijab, qu’il a répété à la mosquée de Cary, et lors de réunions à Raleigh et Chapel Hill, est rare, mais ce n’est pas une première,

Au Texas, l’imam Omar Suleiman, président de l’institut Yaqeen pour la recherche islamique et chargé de cours au centre de recherche islamique Valley Ranch à Irving a déclaré que les peurs des femmes devaient être prises au sérieux. «Il est important d’apporter du soutien aux femmes de notre communauté et de valider la peur qu’elles ressentent», explique Omar Suleiman qui est aussi professeur d’études islamiques à l’Université méthodiste du Sud. «La peur n’est pas mesurable. C’est une expérience personnelle.» Omar Suleinman ne prévoit pas de lancer un appel public à abandonner le voile. Mais il conseille aux femmes de prendre des mesures pratiques. Par exemple de porter un pull à capuche plutôt qu’un hijab, si elles se sentent en danger.

Une question d'identité

Pour beaucoup de femmes musulmanes, le fait de couvrir leur tête est le signe suprême de leur identité, comme la kippa est une exigence habituelle pour les orthodoxes et certains juifs traditionalistes. Souvent compris comme un symbole de modestie et de pudeur, le hijab est davantage que cela pour les femmes qui décident de le porter. Elles le voient également comme un signe de dévotion religieuse, de discipline, de libération des attentes occidentales, ou simplement comme une façon d’être en prière permanente. Beaucoup de musulmanes disent qu’elles n’imaginent pas s’en passer, même si cela fait d’elles, des cibles.

«C’est une période difficile», reconnaît Khalilah Sabra, une activiste musulmane de Raleigh qui travaille pour le Centre de Justice pour les immigrants de la société américaine. Le mois passé, un homme lui a craché au visage, alors qu’elle descendaient les marches de la cours municiplaes de Garfield (New Jersey) où elle témoignait dans une affaire de violence domestique. «Il s’est approché de moi est m’a dit retourn dant on p… de pays», explique-t-elle. «J’ai pris un moment pour décider de me battre ou de laisser passer.» Elle a décidé de prendre sur soi et d’oublier. «Nous devons résister pour nos droits religieux et encourager les femmes à ne pas céder de terrain», estime-t-elle.

D’autres, par contre, prennent de mesures de sécurité. Le 9 novembre, le réseau musulman de New York a posté un message sur Facebook pour annoncer un atelier de self-défense. Les responsables espéraient entre 50 et 60 inscriptions, mais en quelques heures 2700 femmes ont manifesté leur intérêt.

Ateliers de self-defense

Le 3e atelier de ce genre a eu lieu le 10 décembre à l’église Judson Memorial dans le quartier du Village. Et plus récemment, le Conseil des relations américano-islamique a financé un cours gratuit de self-défense dans une école de karaté de College Park (Maryland). «Beaucoup de personnes ont été traumatisées», explique Debbie Almontaser, présidente du Conseil du réseau musulman. «Nous voulons qu’elles viennent et qu’elles se sentent plus fortes après le cours.» L’enseignante est une femme et le cours débute par une discussion de groupe où les femmes peuvent partager leurs peurs et reçoivent des conseils quant à la façon d’y répondre.

D’autres musulmanes achètent de spray au poivre, suivent des cours sur le maniement des armes à feu ou demandent des autorisations de port d’arme.

Et peu à peu, d’autres femmes découvrent leurs cheveux. «L’une des raisons pour lesquelles Léa femmes sont encouragée à s’habiller modestement et pour leur propre protection», souligne Engy Abdelkader, maîtresse d’enseignement et professeure adjointe à l’école Walsh de services étrangers de l’Université de Georgetown. «Si cet objectif n’est plus atteint, il devient nécessaire de retirer le voile.»

La professeure porte encore le voile, mais Rose Ashraf a choisi de l’enlever. Elle n’a pas vécu d’épisode traumatisant. Directrice opérationnelle dans une entreprise de restauration, l’habitante de Houston déclare même que sa hiérarchie l’a toujours soutenue dans sa volonté de porter le voile. Mais son travail nécessite de fréquents voyages. Et être une femme voilée seule dans les aéroports, les hôtels et les restaurants la forçait à regarder constamment par-dessus son épaule. «En portant le hijab, j’avais l’impression d’être une cible», explique celle qui s’est convertie à l’islam peu avant d’épouser un musulman en 1973. «J’étais toujours sur mes gardes. A me demander si je pouvais faire confiance aux personnes que je croisais et à m’assurer que personne ne réagisse négativement.» Elle a retiré le voile il y a 3 mois et se sent désormais davantage en sécurité, mais elle espère pouvoir continuer à pratiquer sa foi plus librement.