En ligne, comment faire son deuil?
«Avec ma copine, on vivait à distance, on s’écrivait beaucoup. Après son décès, la moindre recherche par mot-clé dans ma boîte e-mail faisait ressortir certains de nos échanges.» Ce témoignage de Valentin, dans le podcast Mort à la ligne (voir encadré) illustre la difficulté de faire son deuil à l’heure du numérique: les traces digitales de la personne défunte peuvent surgir à tout instant, sous l’effet des algorithmes: suggestion d’une playlist partagée, choix aléatoire de photos dans un natel, publications «anniversaire» sur les réseaux sociaux… quelle attitude adopter lorsqu’on est endeuillé? «En supprimant sa photo, j’avais l’impression de tuer ma fille une seconde fois», témoigne Sylvie, une endeuillé·e de 65 ans. Si les outils numériques offrent du réconfort, celui-ci est ambivalent: «Le profil Facebook de Milena, décédée en 2005, s’est transformé en mur des souvenirs. Mais au fil des ans, les messages des proches se font plus rares… En ligne, cette perte d’attention est publique et cruellement visible», déplore Fanny, une Vaudoise de 36 ans.
Pour Alix Noble Burnand, spécialiste du deuil et co-organisatrice du Toussaint’S Festival consacré cette année au suicide des ados, le risque est que ces traces «figent le processus de deuil», qui est «une mutation progressive de l’incarnation de la personne en présence subtile». Cette élaboration «passe par un travail sur les souvenirs», pour «les mettre en perspective». Or le virtuel peut maintenir une «forme figée et inchangée» de la personne disparue.
L’une des solutions? Ne pas tout supprimer d’un coup, mais choisir quand on retire ces traces par étapes: après six mois, un an… «Une manière de se soumettre à la régulation temporelle, puisque la régulation émotionnelle est souvent difficile», remarque l’experte. Ce qui n’empêche pas de faire un dossier virtuel où l’on peut loger et retrouver ces souvenirs quand cela est nécessaire ni de créer des comptes ou profils mémoriels en hommage à la personne.
A noter que, légalement, ces «traces en ligne» constituent aussi un «patrimoine numérique» dont nos proches héritent, souligne Ralph Rimet. A la tête de Tooyoo.ch, spin-off de la Mobilière basée à Nyon. Son entreprise permet, de son vivant, d’exprimer ses volontés «et ses codes d’accès», pour ce qui est des profils en ligne, exactement comme «pour le don d’organes». Une solution pour éviter aux familles des discussions pénibles «ou des bêtises», comme une suppression de données par erreur. Cet entrepreneur qui participera à la table ronde du Toussaint’S Festival du 5 novembre (voir encadré) souligne: «Un compte sur un réseau social, après un décès, c’est comme le corps d’une personne: la part d’émotions qui y est liée est immense.»
Ressources
- Toussaint’S Festival, «Les jeunes face au suicide», du 2 au 7 novembre, Centre culturel des Terreaux, Lausanne.
A noter: «Le plus difficile, pour moi, ça a été», table ronde, vendredi 5, 20h. - Célébration du souvenir, dimanche 7 novembre, 10h30.
Infos: www.toussaints-festival.ch - Mort à la ligne, podcast de Binge Audio, de Lucie Ronfaut réalisé par Quentin Bresson, mai 2020, www.binge.audio.
- Sur le même sujet, Hautes fréquences, «La Mort 2.0», dimanche 31 octobre, à 19h sur RTS La Première.