Le débat sur les martyrs coptes s’intensifie
Quand il était petit garçon à l'école du dimanche, Bassem Al-Janoubie était fasciné par les récits sur les martyrs de l'Eglise copte d'Egypte. «Bien plus que les illustrations, les événements dramatiques et les détails de la vie de chaque saint ont captivé mon attention», se souvient ce graphiste, aujourd’hui âgé de 40 ans. «Ils étaient comme des superhéros qui n’auraient jamais changé de croyance ou renié leur chrétienté, malgré la torture ou même la mort».
L’Eglise copte d’Egypte, vieille de 2000 ans, pratique depuis très lontemps la sanctification de ceux qui sont morts en affirmant leur foi face à la violence. Mais le groupe autoproclamé Etat islamique a lancé ces dernières années des vagues d’agressions contre la communauté copte, tuant environ 70 personnes et en blessant des dizaines; une attaque sans relâche qui a ouvert un débat dans la communauté sur les martyrs. La question a été encore amplifiée par le meurtre d’un prêtre copte dans un quartier pauvre du Caire, en octobre 2017. Un suspect a été arrêté, mais son motif reste toujours inconnu.
Récemment, le révérend Boules George de la banlieue aisée d’Héliopolis est apparu à la télévision pour «remercier» les terroristes de l’Etat islamique qui ont provoqué les attentats du dimanche des Rameaux, tuant 45 personnes, Le prêtre a affirmé à l'antenne que les terroristes avaient ainsi fourni «une fusée» pour envoyer les victimes directement au ciel.
«Un très grand merci!», s’est exclamé Boules George devant les spectateurs de son émission sur la chaîne télévisée copte égyptienne, quelques heures après les attaques terroristes. «Vous nous avez donné la mort du Christ lui-même et c’est le plus grand honneur que nous puissions atteindre». De nombreux Coptes ont été choqués par cette déclaration. «Cette doctrine de la mort est effrayante», a souligné Jacqueline Ezzat, âgée de 21 ans. «Jésus est mort pour une cause et un but. Ceux qui meurent dans la violence nous sont enlevés sans raison. Les propos du Père Boules sont insidieux. C’est comme s’il voulait que les chrétiens soient des morts-vivants».
L’Etat islamique a intensifié son insurrection dans la péninsule du Sinaï et ciblé les Coptes, les églises coptes, la police et les installations militaires en Egypte, suite au renversement en 2013 de l’ex-président Mohammed Morsi, membre des Frères musulmans. Glorifiant l’attaque particulièrement meurtrière contre une église du Caire de décembre 2016, les militants ont diffusé en février une vidéo déclarant que les chrétiens en Egypte étaient leur nouvelle «proie préférée» et s’engageaient à mener un «djihad» similaire à ceux d’Iraq et de Syrie, où des dizaines de milliers de chrétiens sont devenus des réfugiés après s’être échappés des mains de leurs tortionnaires.
Estimée à environ 10% de la population égyptienne qui s’élève à 90 millions, l’Eglise copte regroupe la plus grande communauté chrétienne au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. «Nous sommes des citoyens égyptiens et des chrétiens en même temps», insiste Bassem Al-Janoubie. «Nous devons cesser de considérer ce harcèlement avec fierté, en disant que le terrorisme nous donne la chance de jouer le même rôle que nos ancêtres, comme dans ces récits de l’école du dimanche sur la torture des martyrs». Cependant, le dirigeant copte, le Pope Tawadros II, a publiquement soutenu l’idée que l’Eglise tirait sa force dans la mort de ses fidèles.
«Le sang de nos martyrs, les prières et les larmes de nos moines ainsi que la sueur de tous ceux qui servent l’Eglise sont la source de notre puissance spirituelle», a affirmé le Pope Tawadros dans un message aux fidèles, le 13 septembre dernier. Certains dans la hiérarchie de l’Eglise copte disent que la question des martyrs est largement mal comprise. «Il est vrai que nous aimons les martyrs, mais nous aimons aussi la vie», a relevé l’Evêque Raphael, numéro deux dans la curie copte. «Nous ne détestons pas la vie sur terre. Notre Seigneur nous a créés pour y vivre, pas pour mourir».
Annuler les manifestations religieuses
Cet été, l’Evêque Raphael a mis en œuvre une directive du Ministère de l’intérieur égyptien, annulant les manifestations religieuses dans les endroits difficiles à sécuriser, afin de réduire l’exposition à de nouvelles attaques. «Le fait que nous acceptons la mort avec spiritualité ne signifie pas que notre sang a peu de valeur», a-t-il précisé. Néanmoins, il cherche à construire une nouvelle église dédiée aux 28 martyrs d’une attaque djihadiste qui a eu lieu en mai dernier sur une route de désert entre la ville égyptienne de Minya et le monastère de Samuel le Confesseur, un saint du 6e siècle torturé par une secte chrétienne byzantine rivale.
Il est difficile d’argumenter contre le discours qui fait de ces 28 personnes des martyrs, disent certains membres de la communauté. Les survivants ont déclaré que leurs assaillants leur avaient ordonné de jeûner parce que c'était le mois sacré du ramadan, qu'ils avaient tué leurs maris et leurs frères et les avaient forcés de se convertir à l'islam. «Après nous avoir bombardés et pris nos bijoux, ils ont ordonné aux femmes et aux enfants encore vivants de réciter un témoignage de conversion à l'islam», a raconté Hanan Adel, une survivante de 28 ans.
Ces histoires d'horreur n'incitent pas tous les coptes à soutenir la question des martyrs. A Mansoura, une ville du delta du Nil, où le chômage des jeunes dépasse les 30%, les jeunes coptes veulent un meilleur niveau de vie et des droits civiques, pas un espoir dans l’au-delà, a affirmé Wael Gally, un avocat copte. «La souffrance des minorités coptes a été exacerbée par la pression croissante liée aux problèmes économiques auxquels font face tous les Egyptiens. Les gens s’interrogent sur le but de perdre la vie sans raison et les promesses de la vie éternelle».