
Pourquoi célébrer le concile de Nicée?
Parce qu’il est un héritage commun à toutes les confessions, on pourrait croire que le concile de Nicée représente un idéal perdu d’unité des chrétiens. Un modèle de ciment au sein d’une société. Ce serait une erreur: «Il ne faut pas l’idéaliser et en faire un événement démocratique ou protodémocratique. C’est un événement impérial», prévient Christophe Chalamet, professeur de théologie systématique à la Faculté autonome de théologie de l’Université de Genève.
«On ne veut pas forcément de ce modèle-là. On est 1700 ans plus tard dans une société qui, elle, essaie d’être démocratique. Et on ne veut pas d’un homme fort qui convoque les clercs, les évêques, qui les fasse bosser et qui attend d’eux un consensus presque imposé», insiste Christophe Chalamet.
«L’empereur Constantin n’était pas un grand métaphysicien ou un grand théologien. Il était même un peu naïf par rapport à ces questions-là», insiste Dimitri Andronicos, théologien et éthicien, codirecteur de Cèdres formation à Lausanne, responsable réformé pour le dialogue interreligieux dans le canton de Vaud. «Il est par contre reconnu pour son pragmatisme politique. Nicée avait pour but de mettre fin à des tensions qui duraient depuis des décennies.»
Participant à l’organisation d’un colloque pour célébrer les 1700 ans du concile (lire ci-contre), Dimitri Andronicos constate: «Aujourd’hui, en Suisse romande, dans les milieux ecclésiaux, il y a un refus assez net envers l’idée que l’Etat vienne gérer des questions dogmatiques ou de foi. Et au fond, le constantinisme, c’est ça!» Alors, pourquoi célébrer le jubilé de Nicée? «J’ai l’impression que dans le cadre de l’œcuménisme, on cherche le moment où, historiquement, le christianisme a été le plus unifié. Il y a une méfiance théologico-politique. Ce n’est pas un Etat qui doit prendre en charge ces questions, mais sur le plan de l’utopie, il en reste quelque chose. On vivra donc une journée durant laquelle on va critiquer Nicée, mais elle se vivra quand même comme un moment œcuménique.»
Bases du christianisme
Dimitri Andronicos résume: «A posteriori, le constantinisme est plutôt mal perçu dans les milieux œcuméniques, alors qu’à mon sens le concile de Nicée est quand même un moment de progrès institutionnel dans l’émergence des Eglises, de leur développement dans la bonne cohésion et la compréhension de l’Empire.» Christophe Chalamet confirme: «Ce premier ‹concile oecuménique de l’histoire de la chrétienté› a ouvert la voie à d’autres réunions similaires qui serviront d’occasions et dans certains cas de points de repère pour la clarification dogmatique. Nicée est un événement au cours duquel, et dans le sillage duquel, des décisions théologiques majeures ont été prises.»
Des décisions loin d’être neutres, souligne d’ailleurs le théologien: «Il y a des éléments centraux de la foi chrétienne qui sont passés sous silence à Nicée et dans sa Confession de foi. L’évocation d’Israël passe à la trappe. Le récit des alliances, celui de la libération d’Egypte, les prophètes, tout cela est omis. Les textes de Nicée passent directement de la Création à l’incarnation. C’est parfaitement délibéré parce que l’antijudaïsme est extrêmement fort au IVe siècle», pointe Christophe Chalamet.
Gérer la tradition de façon critique
Que faire alors de Nicée? «C’est quand même une étape dans l’émergence du christianisme comme religion; et comme religion qui va se diffuser à travers le monde. Je pense donc qu’il ne faut ni idolâtrer ni mettre au rebut les textes de Nicée. C’est ce que fait le protestantisme depuis le XVIe siècle avec tout ce qui est de la tradition d’Eglise: ni les mettre au rebut ni les encenser. C’est une attitude qui me paraît saine par rapport à la tradition, c’est-à-dire qu’on la relativise, on ne l’absolutise jamais, mais on ne l’anéantit pas non plus. On l’analyse critiquement.»
«J’ai travaillé récemment sur la thèse d’un collègue. Son texte analyse le travail du théologien Oscar Cullmann, qui a travaillé sur l’œcuménisme dans les années 1980. La thèse est titrée Einheit durch Vielfalt? (Editions TVZ, 2023): L’Unité par la diversité. Pas l’unité en dépit de la pluralité, mais à travers la pluralité. Ça, c’est un modèle d’unité qui est intéressant», s’enthousiasme Christophe Chalamet, qui défend un christianisme dans lequel on laisse place au débat, à la diversité des opinions. «On doit favoriser la pluralité d’interprétations, le dialogue, le débat.»
Diversité du christianisme
«Je pense que les célébrations des 1700 ans, c’est aussi ça. Reconnaître le christianisme comme quelque chose qui est le fait de communautés qui sont bigarrées, qui sont en tension, qui sont en discussion et qui se cherchent encore aujourd’hui», ajoute Dimitri Andronicos. «Finalement, ce qui est assez beau, c’est de se dire que ce qu’il reste de cet Empire romain byzantin, c’est l’Eglise. Le christianisme a survécu là où tous les empires ont passé. Le christianisme n’a pas simplement pris des formes différentes, il s’est maintenu du fait de sa non-adhérence pleine et entière à la destinée d’un Empire ou d’un Etat», pointe l’éthicien.
Enfin, est-ce que le concile de Nicée peut nous enrichir dans notre compréhension de ce que peut signifier faire Eglise au XXIe siècle? «Je ne suis pas sûr que l’appartenance à une communauté passe par des convictions doctrinales similaires aujourd’hui», analyse Christophe Chalamet. «Le facteur qui peut conduire à ce qu’on ait le sentiment d’appartenir à une communauté de foi ne se joue plus tellement sur le plan doctrinal, mais plutôt sur une participation plus ou moins fréquente à des activités proposées par cette communauté.» Par contre, il reconnaît une valeur au credo: «Les théologiens expliquent que la Confession de foi unit de manière publique. Pas intérieure, mais exprimée. C’est une foi qui est incarnée communautairement et qui est, sinon visible, du moins audible. Je trouve cela intéressant, parce que ça va à l’encontre de toute cette tendance de ces derniers siècles à privatiser la foi. Nicée va à l’encontre de cette intériorisation de la foi: mon petit jardin secret à moi qui ne regarde personne d’autre que moi.» Malgré tout, il conclut: «Il ne faut pas s’imaginer que c’est un document qui a énormément d’avenir. Si l’on regarde toutes les nouvelles communautés de par le monde, elles n’en ont souvent rien à faire de ce genre de texte qui paraît complètement européen.»
Pour aller plus loin
Des colloques
Le mercredi 19 mars, à Lausanne, place de la Riponne 7, journée d’étude avec quatre conférences suivies de quatre ateliers organisée par la Communauté des Eglises chrétiennes du canton de Vaud, «Concile de Nicée (325-2025): qu’en reste-t-il?»
Infos et inscription: www.ceccv.ch
Le samedi 22 mars, à la HET-pro (Saint-Légier VD), «Aujourd’hui, qui dis-tu que je suis? 1700 ans après Nicée». Colloque organisé avec les mouvements confessants les Attestants (F), le R3 (CH) et Unio Reformata (B).
Infos: www.ler3.ch. Inscription: david.bouillon@het-pro.ch, 078 735 17 69
Du 2 au 5 avril, à Rome, colloque de l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin.
Infos et inscription: www.angelicum.it.
Du 25 au 28 octobre, à Alexandrie, en Egypte, sixième conférence Foi et Constitution, www.oikoumene.org.
Des lectures
«2025: 1700 ans du concile de Nicée, l’année du Jubilé», un dossier consacré à ce thème sur le site de l’Eglise évangélique réformée de Suisse, www.eks-eers.ch.
Les actes du colloque «Célébrer le concile de Nicée?» qui s’est tenu en janvier à l’Université catholique de Lyon seront publiés en automne aux Editions du Cerf.