Une crise humanitaire qu'on ne saurait voir
La République démocratique du Congo (RDC) possède un fort potentiel économique, notamment grâce aux richesses de son sous-sol, mais l'immense majorité de la population y vit dans une pauvreté indécente. Les maux sont légion, à commencer par les divers conflits pour le contrôle des matières premières mêlant milices congolaises, étrangères, armée congolaise, le tout pour le compte des grandes compagnies minières, avec l'assentiment du gouvernement central. Parmi les autres fléaux figurent le détournement des deniers publics, la fraude fiscale, la dépréciation récurrente du franc congolais et une répartition des richesses très inégalitaire, qui, globalement, n'enrichit qu'un très faible pourcentage d'individus.
Les tourments congolais engendrent une sous-alimentation marquée dans certaines provinces, un accès déficient aux infrastructures médicales et scolaires, un recrutement d'enfants des rues dans les milices, etc. La légitimité politique du président Joseph Kabila est nulle depuis la fin de son mandat en décembre 2016. Évoquant des conditions sécuritaires insuffisantes ainsi que des problèmes techniques pour l'organisation du scrutin, le pouvoir en place a d'abord repoussé les élections en décembre 2017, puis en décembre 2018. Durant le règne de l'actuel président, au sommet de l’État depuis 17 ans, les persécutions à l'égard des activistes des droits humains ont été monnaie courante.
Le gouvernement congolais absent de la conférence
Malgré ce sombre tableau et bien que convié, le gouvernement congolais ne participe pas à la conférence des pays donateurs, ce vendredi 13 avril, à Genève. En effet, Freddy Kita, vice-ministre à la Coopération internationale a déclaré, entre autres lors d'un entretien sur la chaîne TV5 Monde, «qu'il n'y a pas de crise humanitaire en RDC». Il y a dix jours, les autorités congolaises ont envoyé une missive au secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, pour justifier leur absence. L'ONU catégorise la RDC au plus haut niveau en matière de besoins humanitaires, ce que conteste l’État congolais. Extrait de la lettre: «L’application purement technique de cette catégorisation projette une image de catastrophe extrême et généralisée, assimilant la situation en RDC à certains pays en guerre (…). Ce qui n’est absolument pas le cas de la République démocratique du Congo qui fait plutôt face à des attaques non conventionnelles et asymétriques de groupuscules terroristes et de groupes armés criminels».
La lecture de la réalité du terrain diverge énormément entre les différents acteurs puisque les organisations humanitaires évaluent à plus de quatre millions, le nombre de déplacés, tandis que le ministre de la Solidarité et des Actions humanitaires, Bernard Biango, articule de son côté «231'241 déplacés répartis sur 69 sites répertoriés».
Des Églises déçues
Lors de notre séjour à Kinshasa, la capitale, nous avons eu l'occasion de rencontrer Daniel Sango, un pasteur évangélique déçu par la gestion du pays depuis l'accession des Congolais à l'indépendance, en 1960. «Au sein de la sphère politique, la corruption tout comme les intérêts personnels priment et je fais partie des nombreux citoyens fatigués de cette espèce de chaos que nous devons subir au quotidien. Dans ma paroisse, il y a toujours cette joie de vivre communicante, mais je remarque également une lassitude de plus en plus prégnante. La justice m'importe beaucoup et force est de constater qu'elle périclite ici étant donné sa face punitive pour les démunis et son visage clément pour les nantis», affirme-t-il, sans détour.
Ces derniers mois, plusieurs manifestations d'ampleur ont secoué le pays, attestant d'un ras-le-bol grandissant. L’Église catholique en a été la principale instigatrice et les membres du clergé n'hésitent pas à adresser des reproches au gouvernement de Joseph Kabila. Nous avons donc contacté l'abbé Donatien Nshole, porte-parole de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui nous a reçus dans son bureau. «La RDC a été gâtée par le créateur, mais la plupart des êtres humains qui y vivent n'en profitent pas ou très peu. La rétrocession d'une partie des revenus de l’État central aux provinces permettrait d'amorcer un développement attendu depuis longtemps et cela devait se faire. Malheureusement et comme souvent, le décalage entre la théorie et la pratique s'avère abyssal».
L'abbé Nshole a également tenu à rectifier «des contre-vérités» largement diffusées dans les médias. «À propos du conflit dans la province d'Ituri, il a été abondamment relayé qu'il s'agissait d'un conflit interethnique, ce qui est faux. J'en veux pour preuve le récent rapport de l’évêque du diocèse de Bunia stipulant que les membres de ces ethnies qui, soi-disant se combattent, fuient dans la même direction vers l'Ouganda. Sur place, ils s'entendent très bien. Nous ne savons pas qui est à l'origine de ces violences, mais je pense que des manipulations politiques en sont à l'origine et qu'elles sont orchestrées par des pêcheurs en eaux troubles qui ne veulent pas d'un Congo stable», déclare-t-il.
Un système éducatif défaillant
Si la RDC peine à décoller économiquement, c'est aussi parce que son système éducatif public est défaillant, à l'instar de nombreux pays africains. Il existe cependant des contre-exemples tels que l'école Lisanga à Kinshasa. Elle a été fondée en 1980 par Els Kazadi-Gysel, une Suissesse établie depuis des lustres dans le pays, sur mandat de l’Église du Christ au Congo et du DM-échange et mission basé à Lausanne. Cette école délivre un enseignement de qualité sans pour autant être réservée à des privilégiés.
Nous avons visité l'établissement avant de prendre place dans le bureau du directeur Henri Mola, pour une interview. «Le système éducatif est peu ou prou le même que durant la période coloniale, ce qui signifie qu'il favorise encore et toujours une petite élite qui n'investit pas l'argent public dans le pays, mais à l'étranger dans des projets qui n'apportent rien aux citoyens congolais. Nous avons besoin d'un changement radical à la tête du pays, de quelqu'un capable de mettre en place de vastes réformes et de les faire appliquer. Par exemple, le nouveau code minier prévoit une augmentation des taxes sur l'extraction de minerais. Les multinationales actives dans le secteur s'y opposent et il y a fort à parier qu'elles obtiendront gain de cause. Il faut un président qui ne courbera pas l'échine devant les patrons de ces entreprises et qui injectera dans l'économie le produit des taxes et impôts», espère-t-il.