«Nous faisons face à un cycle infernal d’une violence qui n’en finit pas»

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Vincent Muderhwa
LV

«Nous faisons face à un cycle infernal d’une violence qui n’en finit pas»

11 octobre 2018
Habitant de Goma en République démocratique du Congo, le pasteur et professeur de théologie, Vincent Muderhwa, dénonce une situation de tension et de conflits alarmants dans son pays. Actuellement à l’Université de Genève pour terminer une recherche académique, il appelle à l’aide internationale. Interview.

Quelle est la situation actuelle dans la ville de Goma?

À la périphérie de la ville, des conflits font rage. De plus, un fort exode rural rend la vie socio-économique dans la ville intenable. Cette instabilité dure depuis près de deux décennies, notamment dans l’est du pays, avec des conséquences dramatiques sur les plans socioculturels, mais également politiques et économiques. Des milices et des groupes armés s’affrontent dans différents coins de la province, mais on ne peut pas considérer cela comme une guerre tribale.

La RDC a été marquée par plusieurs invasions depuis 1996 et certaines communautés se sont organisées pour mettre sur pied des groupes armés. Les jeunes n’ont pas d’emploi, ils sont souvent instrumentalisés par les politiques. Ces groupes mettent à mal la situation des populations qui sont forcées à se déplacer et qui ne peuvent donc plus cultiver leurs terres. Parallèlement, le gouvernement n’a jamais réussi à contrôler ces groupes. Nous faisons face à un cycle infernal d’une violence qui n’en finit pas.

Mais qui sont ces groupes armés?

Ce sont des personnes qui n’ont aucun moyen pour survivre, si ce n’est des armes. Par exemple dans la région de Beni, au nord de Goma, il y a une sorte de criminalité à ciel ouvert. Des gens sont chassés de leur maison et tués. On parle souvent de groupes rebelles venus d’Ouganda, et on s’est rendu compte que même les Forces armées de la RDC (FARDC) qui ont la responsabilité de protéger la population ne parviennent pas à résister contre ces rebelles qui rendent la vie intenable dans cette partie du pays.

Pourquoi le gouvernement n’arrive-t-il pas à améliorer cette situation?

C’est le grand défi de la RDC. Pour que l’État soit gouvernable, il faudrait que les politiques travaillent pour l’intérêt de la société, plutôt que pour leurs propres profits. Actuellement, dans les sphères politiques, les personnes amassent de l’argent pour elles-mêmes.

Quelles places ont les Églises dans cette réalité?

La RDC est chrétienne à 80% avec environ 50% de catholiques et 30% de protestants. Les Églises jouent un grand rôle dans le maintien d’une certaine stabilité dans le pays, mais cela n’est pas suffisant. Par exemple, elles ont développé des écoles, des universités et des centres de santé, étant donné qu’il n’y a pas d’hôpitaux publics soutenus par le gouvernement. D’autres parts, des femmes qui font partie des Églises ont créé un commerce informel de denrées alimentaires pour faire survivre les familles. C’est grâce à elles que l’on tient le coup. Elles peuvent ainsi continuer à payer les frais scolaires de leurs enfants et leur permettre de venir à l’Université en dépit de la situation.

Est-ce que les Églises se mobilisent politiquement?

Oui, il y a un mouvement de laïcs, catholiques, protestants et même musulmans, qui s’est engagé contre le troisième mandat de Joseph Kabila. Et effectivement, il ne se représente pas aux élections en décembre prochain, mais il a toutefois nommé un «dauphin». Ce mouvement aurait vraiment besoin d’être soutenu par la communauté internationale. Nous sommes fatigués de ce cycle de violences. Le pays a des ressources énormes, mais elles ne profitent qu’à un groupe de personnes au pouvoir et à certaines multinationales.

Vous voyez un réel espoir dans ce genre d’actions de la part des Églises?

Si seulement, il n’y avait pas la corruption…Fréquemment, lorsqu’un groupe de prêtres et pasteurs se rassemblent pour travailler pour la paix, le gouvernement qui ne fait rien pour la population s’arrange pour faire un travail de débauchage pour fragiliser les actions entreprises. Et compte tenu de la pauvreté, les membres des Églises qui rejoignent la politique se laissent parfois instrumentaliser et corrompre. Il arrive souvent que les personnes au pouvoir surutilisent donc la religion pour garder leur position.

Vous êtes professeur en Nouveau Testament à l’Université libre des pays des Grands Lacs (ULPGL) à Goma. Quel est l’objectif de votre venue à l’Université de Genève pour un séjour de deux mois?

À l’ULPGL, nous sommes presque isolés. Nous n’avons pas beaucoup d’ouvrages. Quand une nouvelle recherche est publiée en Europe, nous devons attendre trois à quatre ans pour y avoir accès dans nos bibliothèques. Je bénéficie donc de la coopération entre l’Université de Genève (UNIGE) et l’ULPGL pour actualiser mes cours en Nouveau Testament et travailler sur mon prochain livre «La radicalité de l’évangile dans l’appel des disciples, en quoi cela pourrait être utile en RDC». Cette recherche ne peut aboutir que dans la mesure où je peux accéder aux documents disponibles à l’UNIGE. J’y ai déjà séjourné entre octobre 2005 et août 2006 pour travailler sur ma thèse. J’ai été le premier bénéficiaire de la coopération entre nos deux universités.

Quel regard posez-vous sur la déchristianisation de la Suisse et de l’Europe en général?

Cela me fait mal, je ne peux le cacher. Je constate qu’il n’y a que de vieilles personnes dans les Églises. À Genève vous avez la stabilité, la sécurité, les assurances-maladie, des transports publics, les gens étudient dans de très bonnes conditions et presque gratuitement. Est-ce que toutes ces facilités font que les gens estiment ne plus avoir besoin de Dieu?

J’ai eu à découvrir que les valeurs européennes sont fondées sur l’évangile. Et même si je constate que les gens ne vont plus à l’Église, ils ont gardé en eux ces valeurs chrétiennes, sans en être peut-être conscients.

Vincent Muderhwa, en quelques mots

Né en 1960 dans la région de Goma, Vincent Muderhwa est pasteur et professeur de Nouveau Testament à l’ULPGL. Marié, père de quatre enfants, et grand-père à quatre reprises, il a grandi dans une famille catholique. À 26 ans, il donne une nouvelle orientation à sa vie et rejoint l’Église protestante. Trois ans plus tard, il part étudier à la Faculté de théologie de Kinshasa. Vincent Muderhwa est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat de l’Université sud-africaine de Pretoria. À Goma, il dirige une paroisse de 400 membres et presque 400 enfants.

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