Maltraitance infantile: la Suisse trace la voie
«Nous ne pouvons pas réparer les injustices du passé, mais nous pouvons les reconnaître et les accepter. Et nous devons veiller à ce qu’elles ne se répètent pas.» Les mots du conseiller fédéral Beat Jans donnaient le ton le 6 décembre dernier au siège du Conseil de l’Europe, à Strasbourg. La délégation suisse a rassemblé des politiciens, militants et survivants de toute l’Europe pour faire le point sur la lutte contre les violences faites aux enfants.
Il s’agissait de dresser un panorama de la situation un an après l’adoption par le Conseil de la résolution 2533 qui exhorte les pays membres à reconnaître les éventuels abus commis par l’Etat et à mettre en place des mesures pour améliorer la prise en charge des mineurs. Une résolution pour laquelle la Suisse a milité en invitant aux débats d’anciens enfants placés et en donnant comme exemple ses propres démarches de réparation.
Les victimes partie prenante
Dans notre pays, les placements forcés ont fait des dizaines de milliers de victimes aux XIXe et XXe siècles. Des enfants illégitimes, nés dans des familles pauvres ou de gens du voyage étaient envoyés dans des foyers, souvent des fermes. Ils étaient régulièrement négligés, exploités, battus ou même abusés sexuellement, dans l’indifférence de la société.
Cette situation a progressivement changé au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Les victimes ont commencé à se faire entendre plus largement dès 2010 grâce à la pression des médias et au lobbying des associations de survivants. Ces dernières ont déposé une initiative populaire en 2014, retirée trois ans plus tard après l’adoption par le Parlement d’un contre-projet indirect. Entre-temps, des tables rondes ont réuni les victimes et les représentants de la Confédération afin de déterminer les mesures à prendre.
Il en a résulté une loi et une enveloppe de 300 millions de francs pour dédommager les survivants et faire un travail de mémoire approfondi. «Pour la Suisse, en raison de l’ampleur du problème, il ne suffisait pas de s’excuser auprès des personnes concernées, explique Susanne Kuster, directrice adjointe de l’Office fédéral de la justice. Il était tout aussi important d’engager un véritable dialogue d’égal à égal avec les victimes.»
Guido Fluri, qui a lancé l’initiative de 2014, fait aussi du lobbying dans toute l’Europe grâce au mouvement Justice Initiative. « Je vous demande à tous de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que le processus d’acceptation du passé progresse dans votre pays», a-t-il martelé. Des politiciens et des ONG ont témoigné du difficile travail de mémoire, soulignant néanmoins les progrès dans la prise en charge actuelle des enfants et dans la sensibilisation de la société.
L’Eglise dans le viseur
La question ecclésiale a également été abordée, puisque dans les pays à majorité catholique, l’Eglise s’est régulièrement chargée de l’éducation des enfants et qu’un nombre important d’abus ont été commis dans ce contexte. Mais les victimes peinent à se faire entendre dans certaines régions. «Au Portugal, ces faits sont tus par le monde politique, a déploré Antonio, abusé enfant par deux prêtres. Cette situation est inacceptable et indigne d’une démocratie.»
En Suisse, les réformés ont entamé leur travail d’introspection. Les pasteurs ou institutions liés à l’Eglise étaient souvent amenés à surveiller, voire à prendre en charge, les enfants placés. En 2016, la Fédération des Eglises protestantes (aujourd’hui EERS) avait organisé un colloque et publié un livre pour faire la lumière sur cette question. Reste que l’analyse est loin d’être terminée puisque la participation réformée aux mesures de coercition était plutôt le fait d’acteurs individuels. Certaines Eglises cantonales ont cependant participé à des actions commémoratives ou cofinancé des recherches d’historiens.