Le ramadan se vit aussi sur les réseaux sociaux
Pour la plupart des musulmans, le mois du ramadan rime avec communauté et camaraderie. On se réveille ensemble pour manger avant l'aube, on partage des iftars – les repas communautaires pour rompre le jeûne – le soir venu et on prie à la mosquée jusqu’à tard dans la nuit. Mais pour certains, le mois le plus saint du calendrier islamique est aussi le plus solitaire.
Qu'il s'agisse de musulmans récemment convertis, de nouveaux immigrants, de musulmans LGBTQ, de personnes mariées à un non-musulman, vivant seules ou dans une région rurale ou isolée, nombreux sont ceux qui, aux États-Unis, ne peuvent pas avoir de mosquée ou de communauté musulmane à laquelle se rattacher. Ils se tournent alors vers les réseaux sociaux, pour combler le fossé qui les sépare de leurs amis, de leur famille et des responsables religieux.
Loin des yeux
«Je veux vraiment me rapprocher physiquement de la communauté musulmane, mais j'ai besoin des réseaux sociaux pour y parvenir, tant pour assister à des conférences que pour me renseigner sur les iftars», explique Omar Aziz, l’un des organisateurs de la communauté musulmane afghano-américaine et étudiant à l'Université George Mason, en Virgine. «Nous devons nous appuyer sur ces espaces virtuels parce que nous sommes parfois loin des communautés, des familles et des lieux où nous pouvons développer ce sentiment d'appartenance. Les réseaux sociaux et la technologie numérique sont essentiels pour aider à combler cette lacune. Les liens ainsi créés jouent un rôle important dans la construction d'une communauté et la création d'amitiés. Nous ne disposons pas de beaucoup d’autres lieux où nous pouvons le faire.»
Une guide pour les convertis
Il y a cinq ans, l'écrivaine américaine et musulmane convertie Shannon Abulnasr a créé le Ramadan Iftar Project, un groupe Facebook de plus de 2100 membres, qui aide les convertis à se mettre en lien avec la communauté virtuelle. Ainsi, les membres d'un groupe du même fuseau horaire se connectent par chat vidéo pour rompre leurs jeûnes ensemble et partager des photos de leur iftar.
Depuis, d'autres initiatives numériques ont été lancées. La New Muslim Academy propose des vidéos, des cours et des livres en ligne pour aider les convertis à se familiariser avec les rituels du ramadan. Des musulmans de toutes origines sont ainsi transportés sur le campus de l'Université de New York, où le populaire imam Khalid Latif livre un sermon sur cette occasion de devenir meilleur pendant le ramadan. Ils peuvent également suivre des cours sur le Coran, écouter les sermons de la mosquée des femmes d’Amérique ou de leur ville natale et écouter les tarawih, prières quotidiennes du soir, diffusées en direct dans les mosquées du pays.
Les musulmans qui rompent leur jeûne seuls dans leur salon peuvent regarder les stars musulmanes de YouTube transformer leurs propres iftars en mukbangs, un genre populaire de vidéos dans lesquelles les animateurs se filment en mangeant, tout en discutant avec leur public. Ils peuvent aussi se divertir devant les vidéos diffusées quotidiennement par la blogueuse Dina Torkia. Durant le ramadan, elle et son mari se disputent avec leurs deux jeunes enfants pendant le jeûne. C’est devenue une tradition annuelle.
Le défi communautaire
Lorsque les musulmans se sentent exclus des mosquées traditionnelles ou n'ont pas de famille avec qui passer du temps pendant le ramadan, obtenir un commentaire positif d'Instagram sur une photo de l'iftar publiée la veille peut donc tout changer. Maintenir ce lien communautaire est un défi, alors que de nombreux fidèlesprofitent plutôt de cette période pour prendre du recul face aux réseaux sociaux, pour éviter les distractions.
Bilal Askaryar, qui travaille pour le programme d’entraide chrétien Church World Service à Washington, D.C., avait fait le choix de jeûner des réseaux sociaux pendant le ramadan. Mais lorsqu’il a commencé à vouloir assumer son identité de musulman gay, tout a changé. «Même à Washington, il n'est pas facile de trouver des espaces qui soutiennent les musulmans queer», observe-t-il. Alors que de nombreuses mosquées sont accueillantes, quelques «incidents malheureux» auxquels lui-même et d'autres de ses amis homosexuels ont été confrontés font de l'entrée dans une nouvelle mosquée une source de stress. «C'est pourquoi je continue de chercher activement ces espaces en ligne où je peux interagir avec mes frères et sœurs musulmans homosexuels et voir comment ils vivent le ramadan. On nous laisse si souvent de côté, que la visibilité est elle-même révolutionnaire.» À 33 ans, Bilal Askaryar ne pourra peut-être pas prier et rompre son jeûne aux côtés des homosexuels musulmans du centre islamique inclusif Masjid al-Rabia, à Chicago. Mais le simple fait de savoir qu'il y a là-bas des gens qui prient, de pouvoir les regarder le faire sur Instagram Live, le fait se sentir moins seul.
Sans discrimination
Cette année, le centre Masjid al-Rabia a lancé le hashtag #MyDisabledRamadan pour aider les musulmans en situation de handicap du monde entier à trouver une communauté. Un iftar communautaire à la mosquée de Chicago, diffusé en ligne a ainsi vu le jour. La conversation autour de #MyDisabledRamadan reflète le dialogue initié par #BlackMuslimRamadan, lancé sur Twitter par l'anthropologue Donna Auston en 2015. Donna Auston cherchait des moyens pour que les musulmans sous-représentés puissent partager leur expérience avec d'autres dans le monde entier par le biais de photos, de poèmes, de recettes et de réflexions. «Dans un monde où le fait d’être noir est très souvent considéré comme l'antithèse de tout ce qui est beau, cette nouvelle communauté numérique a affirmé et assumé l’esthétique noire comme un critère», écrit-elle.
Les musulmans noirs ont également créé un espace virtuel pour eux-mêmes avec Sapelo Square, un blog qui se veut «un espace de rassemblement qui s'appuie sur la longue tradition de l'islam en Amérique noire et reflète la vitalité de cette communauté». Depuis 2016, à chaque ramadan, des contributeurs sont invités à proposer des réflexions sur des passages du Coran à travers le prisme tant religieux qu’ethnique. Dans l’une d’elles, le sort de la mère de Moïse, tel que raconté dans le chapitre 20 du Coran est comparé à la façon dont les enfants des femmes noires réduites en esclavage leur ont été enlevés et «vendus sur le fleuve (Mississippi)». Dans une autre, l’espoir est trouvé dans l'histoire coranique du prophète Joseph.
Ces conversations en ligne ont permis d'établir des liens entre les personnes. L'année dernière, Samira Abderahman, basée à Chicago, a lancé Black Iftar, une série d'événements visant à rassembler «les musulmans noirs et leurs amis» dans neuf villes du pays. «Beaucoup de musulmans noirs appartenant à différentes communautés ne se connaissaient pas nécessairement ou ne passaient pas de temps ensemble. L'objectif était littéralement de rassembler ces gens, de les mettre tous dans une pièce avec l'intention de rompre notre jeûne ensemble et de construire ainsi une communauté.»