Condamnées à innover
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 76% des travailleuses et travailleurs hautement qualifiés originaires de pays à revenus élevés n’ont pas de peine à trouver un emploi correspondant à leur niveau de qualification. Mais lorsque l’on provient d’un pays pauvre, ce taux tombe à 53%, même avec un diplôme suisse. Lorsque l’on est une femme, issue d’un pays hors de l’Union européenne, les choses se compliquent encore. Et pour les femmes qualifiées, mères d’enfants en bas âge et venues par la voie du regroupement familial, trouver un emploi dans son domaine d’activité devient une véritable gageure. C’est ce qui explique des situations de déqualification, comme celle de Magdalena (voir témoignage p. 14), enseignante devenue femme de ménage.
Ces lacunes sont connues. Pour Amina Benkaïs, déléguée vaudoise à l’intégration et cheffe du Bureau pour l’intégration des étrangers (BCI), parmi toutes les barrières structurelles qui existent, le principal reste le manque de reconnaissance des diplômes. «On peut mettre tous les fonds que l’on veut pour l’intégration, si l’on ne lève pas cette barrière, cela ne fonctionnera pas.» A Genève, Aurore Bui dirige Softweb, réseau d’innovation sociale féminin, qui aide notamment les femmes migrantes à lancer leur entreprise. «Pour beaucoup de ces femmes, ce choix est un plan B après avoir échoué à trouver un poste dans le secteur qui les intéresse: avocates, médecins… Pour autant, ce n’en sont pas moins de vraies entrepreneuses!» Depuis 2019, avec l’aide du Secrétariat aux migrations, elle a lancé Softways.ch, qui propose des ressources pour l’entrepreneuriat féminin et les réseaux de pairs. L’idée est d’aider ces entrepreneuses du monde entier à trouver ce qui leur manque le plus après des mois voire des années de recherche d’un travail en Suisse: réseau local, financement… et confiance en soi.
A retrouver ici: l’interview complète d’Aurore Bui.
Eclairage
Pourquoi y a-t-il plus de chômage parmi les migrants?
Les statistiques montrent que, par rapport aux travailleurs suisses, les étrangers sont plus exposés aux risques du chômage (1,8% pour les Suisses, 4,6% pour les étrangers en décembre 2019, SECO). Plusieurs raisons à cela. Selon la politologue et sociologue Denise Efionayi, les travailleurs étrangers sont, en proportion, davantage actifs dans les secteurs précaires (services à la personne, nettoyage, construction, restauration…) et donc sujets aux problèmes conjoncturels. «Tout le bas de l’échelle sociale en Suisse est occupé par les personnes issues de la migration. Au moindre choc économique, elles se retrouvent sans emploi.» La déqualification, due au manque de reconnaissance des diplômes, est une autre explication, tout comme le manque de formation d’une génération de personnes issues de la migration. Pour cette chercheuse, l’idée d’une immigration structurelle vers l’aide sociale est un «mythe», qu’aucune étude ne peut corroborer, tout comme celle de la concurrence structurelle entre travailleurs étrangers et suisses; «mais il existe bien sûr des situations individuelles où c’est le cas».
Ces dynamiques évoluent: dans les années 1980, moins de 20% des arrivants détenaient un diplôme de formation tertiaire ou davantage. Ces dernières années, c’est l’inverse, rappelle le site swissinfo.ch: moins de 20% des nouveaux migrants sont peu qualifiés. Une situation qui répond aux nouveaux besoins du marché du travail.