Les langages du luxe
Lorsque l’on recherche la définition de ce fameux terme dans le Larousse, voici ce que l’on trouve: «Etat de quelqu’un ou de quelque chose qui est parfait en son genre.» La quête de la perfection est-elle le saint graal du luxe? Le luxe, un univers qui pèse plusieurs milliards, comme le révèlent les chiffres du rapport «Global Powers of Luxury Goods 2019» réalisé par le cabinet Deloitte: les 100 compagnies du luxe les plus importantes totalisaient un chiffre d’affaires cumulé de 247 milliards de dollars cette même année. Un montant qui peut donner le vertige et qui laisse entrevoir les millions investis par les griffes afin de se distinguer de la concurrence. Car, ne vous fiez pas à l’arrivée de la Covid 19, le secteur n’est pas boudé par les consommateurs. Selon le rapport Altagamma Bain Worldwide Market, la croissance générale dans le domaine devrait augmenter de 14% en 2021.
Toujours aller plus loin
Alors, atteindre cette perfection est-il réellement un objectif? Pas tout à fait, selon Franck Giovannini, chef trois étoiles du restaurant L’Hôtel de Ville de Crissier: «Perfectionnistes, nous le sommes en cuisine, car nous recherchons constamment à innover et à surprendre en créant des plats inédits. Nous voulons toujours aller plus loin. En revanche, il serait arrogant de dire que nous avons atteint cette perfection qui est, en somme, inatteignable. Ce n’est pas un but en soi. La perception de la perfection est d’ailleurs très subjective; aujourd’hui, nous parlons plutôt d’expérience, et dans notre domaine qui est la cuisine, la transmission d’une passion est prioritaire. »
L’expérience, un terme également très utilisé dans la mode et l’horlogerie, car pour se distinguer, les marques font vivre des moments exceptionnels aux clients: plongée sous-marine avec l’un des champions les plus médaillés du monde pour faire découvrir une nouvelle montre de plongée. Concert privé d’une star de la musique au sein d’un monument privatisé et réservé à une élite d’une dizaine de personnes pour le lancement d’une ligne… rien n’arrête les griffes qui cherchent, pour faire la différence, à créer de l’émotion. Paradoxalement, la perfection n’est d’ailleurs pas toujours vue comme une preuve de luxe ultime, comme l’explique Sophie Furley, journaliste spécialisée dans l’horlogerie et la joaillerie: «Pour moi, la beauté se trouve souvent dans les imperfections. Prenez le cadran de montre par exemple. Lorsque celui-ci est gravé à la main par un artisan, il suscitera beaucoup plus l’envie grâce à ses ‹imperfections› qu’un cadran gravé au laser, aussi beau soit-il. C’est ce type de petites différences qui crée la beauté et la rareté.»
De ce fait, plutôt que par la perfection, le domaine du luxe aime à se définir par des termes comme «expérience», «excellence», «authenticité», «précision» ou encore «innovation».
Une quête pour qui ?
La poursuite de «l’ultra-beau» par les consommateurs est-elle nouvelle et s’adresse-t-elle uniquement aux générations Y? Non, mais l’avènement d’internet a décuplé le phénomène. «Les recettes se retrouvent postées, repostées, taguées et photographiées par des millions de personnes», explique Franck Giovannini. «Les chefs les plus populaires sont parfois ceux qui ont le plus de likes ou de live vidéo sur leurs réseaux. Ce n’est pas une mauvaise chose et cela attire aussi une nouvelle clientèle, mais ce besoin de montrer ‹le très beau› est une surexposition permanente et une pression supplémentaire dans ce domaine.»
Faire rêver
Toujours plus et toujours plus merveilleux – les influenceurs sont d’ailleurs régulièrement invités dans des hôtels de luxe afin de poster des visuels parfois biaisés de la réalité, mais dont le but est de diffuser et de faire rêver à une vie parfaite. Une nouvelle clientèle avec l’arrivée des blogs, mais aussi une génération de fidèles selon Sophie Furley: «Ce luxe ultime attire toutes les générations. Pour des femmes qui ont la quarantaine, l’expérience permet de faire plus attention à ce qu’elles achètent et donc d’être plus exigeantes avec les marques et la qualité. Maintenant, cette vision de la perfection peut, par exemple, aussi être retranscrite chez un consommateur par un produit pensé pour être durable. La définition de ce mot peut donc varier d’une personne à l’autre, mais une certitude est indéniable: les consommateurs sont de mieux en mieux informés et finissent par voir clair dans les marques qui se disent dans l’excellence, mais qui ne le sont pas.» La perfection dans le luxe est donc un terme aux multiples interprétations, mais une chose perdure: l’émotion évoquée par un vécu ou un objet déterminera si celui-ci a atteint, aux yeux de chacun, sa vision de la perfection.