Habitat partagé, existences augmentées

Deux des familles vivant actuellement à l’ancienne auberge de Mauborget (VD). De g. à d.: Olivier Matthey, son fils Léon, Marc Dechêne, sa compagne Valentine Meylan, avec leur fille Lisa Lou, et Camille Leuenberger, compagne d’Oliver, avec leur fille Alice. / © Pierre Bohrer
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Deux des familles vivant actuellement à l’ancienne auberge de Mauborget (VD). De g. à d.: Olivier Matthey, son fils Léon, Marc Dechêne, sa compagne Valentine Meylan, avec leur fille Lisa Lou, et Camille Leuenberger, compagne d’Oliver, avec leur fille Alice.
© Pierre Bohrer

Habitat partagé, existences augmentées

Collectif
Dans le petit village de Mauborget (VD), quatre familles vivent dans l’ancienne auberge. Dans cette coopérative d’habitation, chacune d’elles a son propre appartement et partage de nombreux espaces communs et activités.

Mauborget, sur les hauteurs d’Yverdon-les-Bains. Une localité de quelque 150 habitants avec un panorama à couper le souffle qui voit passer bon nombre de touristes chaque week-end. Dans ce cadre idyllique se situe l’ancienne auberge du village. Elle est habitée depuis deux ans par quatre familles qui ont décidé de vivre ensemble au sein d’une coopérative d’habitation. Parmi ces trentenaires : une enseignante, des ingénieurs, une éducatrice, un propriétaire de magasin de cycles ou encore un père au foyer. Certains travaillent beaucoup sur place, d’autres moins. 

Visées communes

Au centre: le désir de partager et d’autres motivations plus spécifiques. «A l’époque où nous avons démarré le projet, il était clair que nous voulions tous devenir parents. Le fait de pouvoir élever nos enfants entourés d’autres familles était important pour nous», précise Valentine Meylan, éducatrice Montessori. Depuis, la maisonnée compte désormais cinq petites têtes blondes âgées de 6 mois à 2 ans et demi. Un modèle de coparentalité bénéfique à tous: «Cela fait que nous grandissons également ensemble en tant que parents. De plus, cela permettra aux enfants d’avoir plusieurs modèles d’adultes», ajoute Camille Leuenberger.

«Parmi les autres facteurs qui ont motivé le choix de la coopérative figure celui de ne pas participer à un modèle spéculatif», détaille Marc Dechêne, pour lequel cette notion est très importante. Le bâtiment appartient à la coopérative et les membres possèdent leurs parts sociales qu’ils peuvent revendre lorsqu’ils partent pour un prix qui reste inchangé. Une stabilité financière bienvenue en cette période de flambée des prix de l’immobilier. En optant pour cette solution, les habitants sont à mi-chemin entre locataires et propriétaires. Ils peuvent gérer le bâtiment comme ils l’entendent, effectuer travaux et aménagements comme si c’était le leur, à prix coûtant. «Le potentiel d’économie n’est en fin de compte pas énorme par rapport à d’autres solutions de logement, mais l’idée n’était pas de payer moins cher», précise toutefois Valentine Meylan. Difficile pourtant de trouver une banque qui les soutienne. C’est finalement une banque anthroposophe, qui leur donnera le dernier grand coup de main nécessaire à la concrétisation de leur projet. 

Partage quotidien

Bien que chaque famille dispose de son propre appartement entièrement équipé, la vie de la maison se déroule dans les nombreux espaces partagés et au jardin. «Une fois levé, on descend dans la salle commune pour boire un café et l’on tombe toujours sur quelqu’un. Nous ne planifions rien, mais il nous arrive fréquemment de manger spontanément ensemble», explique Camille Leuenberger. L’endroit, qui dispose d’une cuisine, d’une table à manger, d’un coin salon et sert de salle de jeux aux enfants, est rapidement devenu le cœur de la coopérative. «On ne pensait pas partager autant», ajoute Valentine Meylan, pour qui le vivre-ensemble va bien au-delà de ses espérances. La jeune femme a développé plusieurs activités au sein de la maison avec une autre coopératrice. Elle donne notamment des cours dans la salle polyvalente, située derrière l’espace commun, à des enfants scolarisés à la maison. Durant la dernière année, tous ont retroussé leurs manches au jardin. Potager, espace pour le feu, ruches, et même un poulailler qui accueille des gallinacés d’élevage originellement voués à l’abattoir, sont venus enrichir le quotidien de la collectivité. Aujourd’hui, on plante des framboisiers! Une activité à laquelle chacune et chacun peut participer selon son envie ou le temps à disposition.

L’enthousiasme comme moteur

Si quelques règles de base définies dans une charte sont à observer, la vie commune reste très libre. Aucune idéologie particulière n’est à adopter. Pour définir le cadre général, tous les membres de la coopérative a suivi une formation auprès des Artisans du lien, collectif qui donne des pistes pour appréhender le vivre-ensemble de façon constructive, spécialisé en matière de gouvernance partagée. «Chacun peut s’investir selon ses envies dans tel ou tel projet. La seule obligation est de participer à une séance de la coopérative toutes les deux semaines», précise Camille Leuenberger. Pour elle, ces rencontres régulières sont un moyen de faire le point, de garder un suivi et d’échanger des informations nécessaires. «Nous fonctionnons selon l’enthousiasme de chacune et chacun et ne reprochons pas aux autres de ne pas s’investir, c’est un élément très important pour notre équilibre», ajoute-t-elle. Le ménage des parties communes, qui ne semblait pas stimuler la majorité des résidents, a été confié à une habitante de la maison qui est rémunérée pour cela.

Chacun peut s’investir selon ses envies

Camille Leuenberger note toutefois qu’une présence régulière sur place est un plus: «Un couple avec lequel nous avions démarré le projet s’en est allé parce qu’il ne se sentait pas assez impliqué dans la vie commune. Les deux travaillaient à l’extérieur et n’avaient que très peu de temps pour échanger ou prendre part à des activités avec les autres.» La coopérative a depuis accueilli un nouveau couple qui s’est parfaitement intégré. 

Vie rêvée

Tous sont aujourd’hui convaincus par ce mode de vie dans lequel ils s’épanouissent pleinement. Olivier, ingénieur et père au foyer, a sa piste de décollage de parapente à quelques minutes de la maison. Il reçoit régulièrement des personnes qui viennent vérifier leur matériel. Marc, lui, organise des excursions-découvertes de plantes sauvages, activité qu’il débute en bordure de forêt environnante. Cet ingénieur environnemental s’est aussi basé sur sa passion pour proposer le nom à la coopérative: Pan d’Ozi, nom patois de l’amourette commune, une graminée qui pousse dans la région et dont les épis reliés sur la tige font penser à des cœurs. Camille enseigne toute la semaine à l’école de Grandson, mais retrouve rapidement la vie collective en fin de journée et en week-end. Valentine donne des cours sur place et produit des plantes médicinales pour des tisanes et autres préparations.

Un bureau commun permet aussi de faire du télétravail dans un espace dédié à cet effet. Pour les résidents, les confinements et mesures de restriction lié à la pandémie ont été plutôt bien vécus. Il faut dire qu’avec près de 600 mètres carrés de surface habitable sur une parcelle de plus de 2'500 mètres carrés, on ne se sent pas trop à l’étroit. Question solitude et interaction sociale, le fait de vivre à huit adultes avec enfants a été plus que bénéfique. 

Projets d’avenir

Les prochaines préoccupations de la collectivité portent sur des questions de chauffage et d’isolation. L’ancienne bâtisse est actuellement chauffée au gaz et une perte d’énergie notable implique certains travaux. Des projets de jardins continuent de stimuler l’ensemble de la maisonnée. A mesure que les enfants grandissent, cabanes, jeux d’extérieur ou encore tyrolienne ne manqueront pas de voir le jour pour le plus grand bonheur des petit·e·s, mais surtout des plus grand·e·s. La maison, bénéficiant de chambres d’amis et d’un dortoir, permettrait d’envisager un concept de chambre d’hôte. «Lorsque nous avons emménagé, nous n’avions pas réalisé que l’endroit était si touristique. Chaque week-end, un nombre considérable de personnes débarquent pour venir marcher, faire du vélo ou du parapente. Même en hiver, c’est très fréquenté, avec des pistes de ski de fond pas loin», note Camille Leuenberger. Dernière idée en date, monter un food truck qui offre aux personnes de passage de quoi se sustenter et se désaltérer. Une idée à creuser, qui semble de plus en plus se poser comme une évidence, clin d’œil évident à l’ancienne auberge qu’occupe aujourd’hui cette communauté.