Les Églises burkinabé en appellent à la communauté internationale
Mardi 1er octobre, la Fédération des Églises et missions évangéliques (FEME) du Burkina Faso a lancé un vibrant appel à la communauté internationale, par le biais d’une conférence de presse organisée à Paris par l’ONG Portes Ouvertes. «L’appel de Ouagadougou» relaie ainsi l’état de la crise humanitaire sans précédent que traverse le pays, suite à l’intensification des attaques djihadistes dans le Nord du pays. Le point avec Illia Djadi, ancien journaliste à la BBC, aujourd’hui expert de l’ONG pour l’Afrique de l’Ouest.
Pourquoi cet appel aujourd’hui à la communauté internationale?
Le Burkina Faso fait face à une crise sans précédent. Les attaques perpétrées par les groupes islamiques qui opèrent dans les régions nord du pays sont devenues quasiment quotidiennes. Tous les ingrédients d’une crise de grande ampleur sont réunis. Ce qui était hier un problème d’insurrection islamiste a fini par produire un problème humanitaire avec des milliers de déplacés, qu’il faut loger, nourrir, soigner, scolariser. Or le pays n’a ni les moyens ni les structures qu’il faut pour les accueillir.
Qui sont les premières victimes de ces attaques?
On note trois cibles principales. Les premières, ce sont les éléments des forces de défense et de sécurité : les militaires, les policiers et tous ceux qui sont porteurs d’uniformes. Ensuite tous ceux qui symbolisent l’État, qui représentent l’administration, mais aussi tous ceux qui symbolisent la civilisation occidentale, notamment l’école. Des messages de mises en garde ont été adressés aux enseignants pour leur intimer d’arrêter d’enseigner le français et le remplacer par l’arabe, mais aussi de remplacer l’enseignement d’autres matières telles que l’histoire et la géographie par un enseignement coranique. Comme ces menaces n’ont pas été suivies d’effet, ils ont fini par s’en prendre à des enseignants, dont beaucoup ont perdu la vie, et à ce jour, plus de 2000 écoles ont dû fermer leurs portes.
Et la troisième cible?
Ce sont ceux qui ne partagent pas cette idéologie radicale, à commencer par les Églises et les chrétiens. Depuis le début de l’année, des dizaines d’églises ont été attaquées, des responsables et un nombre indéterminé de fidèles tués. Les autres se sont vus obligés de quitter la zone. Le Nord du pays s’est vidé de sa population chrétienne. C’est une situation totalement nouvelle. Le Burkina a une longue tradition de tolérance, une culture d’acceptation de l’autre, où les gens ne s’identifient pas sur des bases religieuses mais s’acceptent tels qu’ils sont. Aujourd’hui cette situation a créé un traumatisme collectif. Les gens n’arrivent pas à comprendre comment certains burkinabé en sont arrivés à prendre des armes pour s’attaquer à d’autres burkinabé, simplement parce qu’ils ne sont pas musulmans ou ne partagent pas cette idéologie radicale.
Pour vous, on se dirigerait vers une guerre civile?
La stratégie de ces groupes armés est claire: ils cherchent à diviser des communautés qui ont toujours vécu ensemble, à créer un conflit identitaire. En ciblant les chrétiens, ils envoient un message, qui peut avoir un effet domino et enflammer les tensions identitaires. Il y a donc urgence à intervenir sur le plan humanitaire, mais aussi à vaincre militairement ces groupes armés, pour que les populations puissent à nouveau y vivre librement et en sécurité.
Dans cet appel, les Églises en appellent à une intervention militaire?
Dans ce contexte, mis part l'aide humanitaire et la promotion d'une culture de paix, la FEME appelle «la communauté internationale à soutenir l'action des pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Tchad, Niger) pour leur permettre de coordonner les politiques de développement, de lutte contre le terrorisme et pour la sécurité de leurs frontières.» L’armée du Burkina Faso, comme celles du Mali ou encore du Niger, malgré leur bonne volonté, n’ont pas les moyens de faire face à cette menace islamique. Il faut donc une action urgente et efficace pour leur venir en aide et renforcer leurs capacités. Il est urgent d’enrayer la menace actuelle qui pèse sur tout le continent. Ce qui était hier une crise qui affectait le Nord du Mali, suite à la crise libyenne, a créé un effet domino, au point où toute la région a pris un coup. Au vu de la multiplication des foyers de tensions, on a aujourd’hui de réelles raisons de s’inquiéter. Il n’y pas une seule région du continent qui soit épargnée par le phénomène. Les églises du Burkina en appellent donc à la communauté internationale pour aider militairement le Burkina et les autres pays du Sahel affectes par cette insurrection islamiste.
De quelle manière l’effondrement de la Libye a-t-il déstabilisé toute la région?
L’effondrement de la Libye, après la chute de Khadafi, en 2011, a fait de ce territoire une sorte de refuge pour les groupes terroristes, mais également un supermarché d’armement de tout calibre, qui sont tombés entre les mains de groupes armés et de trafiquants. Du coup, un trafic organisé s’est établi et a approvisionné tous les groupes armés qui opéraient dans la zone sahélo-saharienne et ont alimente des conflits en Centrafrique, au Tchad ou encore au Soudan.
Depuis l’Occident, le Burkina apparaissait comme un des pays d’Afrique les plus sûrs…
Jusqu’à une date récente, 2014, le Burkina était en effet considéré comme un pays sûr. En 2014, avec la chute du président, son départ du pouvoir a créé un vide et c’est ça qui a précipité l’émergence de ces groupes. Quand il était au pouvoir, il avait des contacts avec ces groupes armés et il y avait une sorte de pacte de non-agression. La dissolution de la garde présidentielle, qui assurait une certaine stabilité, a aussi contribué à l’affaiblissement de l’armée, qui a du mal aujourd’hui à faire face à cette poussée islamiste au nord du pays.
Comment percevez-vous le traitement médiatique fait de la situation?
Comme toujours, quand il s’agit de l’Afrique ou des pays du sud c’est le fameux un poids deux mesures. Cette situation n’intéresse pas grand-monde. C’est comme si la communauté internationale ne mesurait pas encore l’ampleur de la situation. Comme si la communauté internationale n’avait pas appris la leçon des expériences passées. La crise libyenne devrait servir de leçon. Ce qui était la crise du Nord du Mali a fini par affecter les pays voisins. Et ce qui est aujourd’hui la crise du Nord du Burkina risque de devenir demain une crise majeure qui affecterait toute la région. Le Burkina de part sa position centrale, constitue une sorte de zone tampon. Et si ce verrou tombe, c’est tous les pays situés plus au sud, le long de la côte qui risquent de s’embraser: le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, etc.
Quelques chiffres
- Près de 289 000 personnes déplacées vivent dans des communautés d'accueil ou des sites de déplacement dans les régions du Centre-Nord, de l’Est, du Nord et du Sahel.
- Une moyenne de 30 000 personnes déplacées par mois a été enregistrée depuis le début de l'année.
- L'insécurité alimentaire affecte 1 238 000 personnes. Parmi elles, 687 000 sont gravement affectées et 133 000 enfants sont menacés de malnutrition aiguë sévère.
- Environ 800 000 personnes sont affectées par la violence et l'insécurité.
- L'augmentation de l’insécurité et des attaques armées a entraîné la fermeture de 2024 écoles (1844 au primaire et 180 au secondaire), privant d’éducation plus de 330 000 enfants dans six régions. Plus de la moitié des établissements fermés sont situés dans la région du Sahel, durement frappée par la violence. Au total, 9280 enseignants sont concernés.
Source: Open Doors