Divines tomates vertes
La lame tranche avec adresse la chaire verte des tomates. La main récolte une poignée de morceaux juteux qu’elle lâche dans le saladier. L’air est rempli d’une douce odeur d’épices, l’ail et l’oignon dont elle est empreinte chatouillent les narines et réveillent les papilles.
Assises à table, Thérèse, Catherine et Brigitte discutent et rient. Elles préparent du chutney de tomates vertes qui sera vendu au marché de Noël en faveur d’un projet à Kinshasa. Aux murs, les étagères sont pleines de poteries réalisées par Thérèse. Depuis quinze ans, elle a fait de cette petite maison villageoise de Saint- Blaise, sur le littoral neuchâtelois, son atelier de création. Et voilà deux ans que l’Atelier du Ruau y a aussi pris ses quartiers. «Tout a commencé en 2006, lorsqu’un petit groupe de la paroisse réformée de l’Entre-deux-lacs s’est formé pour réfléchir ensemble aux défis de la crise environnementale. Nous désirions ancrer notre engagement dans des actions concrètes.» C’est la naissance du Réseau Solidarité. Rapidement, il est rejoint par des paroissiens et surtout des voisins, en quête de sens. L’ancrage spirituel du groupe, son émerveillement pour la Création, l’engagement pour un mode de vie en accord avec la nature sont autant d’aspirations déposées sur le papier dans une charte. Et en 2014, l’Atelier du Ruau voit le jour avec une dizaine de personnes lancées dans l’aventure. Au bord de la rivière du Ruau, se vivent le travail de la Terre, la découverte de la nature, la méditation et les fêtes. «La Terre rassemble, tout comme l’envie de donner du sens, que l’on soit chrétien ou non», constate Brigitte.
La conscience du divin
Catherine choisit un fruit vert dans le cageot. Cette voisine a mis une partie de son jardin à la disposition du groupe, dont elle fait aujourd’hui partie. «Nous nous sommes mis à la permaculture. Le jardin potager attire des personnes de tous âges. Nous y vivons des moments intenses de partage», confie Brigitte. La spiritualité est au cœur de l’action. Il n’y a ni prosélytisme, ni activisme, mais la conviction qu’il faut sauvegarder le divin de la Création et ne pas se restreindre à éponger les dégâts de la planète. L’ambition est locale, tout se fait avec les moyens du bord. Comme l’atelier de cuisine de cet après-midi. «Prenons ce qui est donné et laissons la place à l’inattendu, comme avec ces tomates que nous avons plantées, cultivées et qui ont mûri tard. Nous ne savions que faire. Aujourd’hui chutney, demain elles serviront un projet solidaire», se réjouit Thérèse. L’eau bout dans les deux casseroles qui se remplissent rapidement d’ingrédients. Dans les cageots, il n’y a presque plus de fruits.
Connexion humaine
«Les choses bougent, la transition est en marche, Thérèse le sent. Notre système d’exploitation des ressources va droit vers la banqueroute entend-on. Le vecteur du plus grand changement vient de l’intérieur, c’est celui qu’on applique sur sa propre vie.» Se reconnecter à l’autre, à soi, à la Terre, cette quête de lien est omniprésente à l’Atelier du Ruau, pourtant elle ne se dit pas.Pas besoin. La convivialité, la simplicité, le partage se vivent naturellement, observent ces trois femmes. Ici, l’instant présent prime. Le choix de vivre autrement, «de descendre du train de notre société pour partir dans l’autre sens» est assumé. «La démarche est toujours liée au divin, souvent subtilement», confie Brigitte.
«J’ai toujours voulu avoir des espaces pour vivre autre chose, de plus essentiel. Je l’ai aujourd’hui, j’ai trouvé ce lieu», explique Catherine. Avec le Réseau Solidarité et l’Atelier du Ruau, la spiritualité se vit pleinement. «Nous avons eu un cycle de cultes sur les récoltes et nous réfléchissons à la thématique des semences», dévoile Thérèse. «C’est un lieu de transition. A l’église, le Christ est annoncé, ici on le vit incognito», sourit Thérèse. Espace de respiration, on passe de la contemplation à l’action dans un va-et-vient perpétuel. «Ca représente quoi 5 g de sel?», demande Catherine. Les planches à découper sont vides, les tomates cuisent. Dans quinze minutes, les trois femmes rempliront de chutney leurs bocaux hétéroclites. Thérèse parsème le mélange fumant de raisins secs et brasse la préparation pour permettre aux petits fruits secs de libérer leur douceur.
L’écospiritualité gagne du terrain
Les initiatives chrétiennes locales se développent en Suisse romande. Zoom sur trois d’entre elles.
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Devenir une paroisse verte, c’est l’idéal du groupe œcuménique Eglise et environnement de la paroisse Chailly – La Cathédrale, à Lausanne. Du bilan énergétique de leur propre maison, les membres se sont ensuite tournés vers la paroisse : tri des ordures, apéritifs et après-cultes éthiques, l’idée est d’inscrire la vie de la paroisse dans un respect de la Création. Aux actions se joint aussi une lecture de la Bible avec un regard écologique : «Après avoir nourri cinq mille hommes, Jésus demande aux disciples de ramasser les morceaux pour qu’il n’y ait pas de restes. C’est l’idée du gaspillage qui est ici évoquée», observe Isabelle Veillon, membre du groupe.
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Pour réduire la consommation d’électricité des bâtiments de votre paroisse, engagez-vous dans le programme de soutien EgliseProWatt. Vous bénéficiez de subventions allant jusqu’à 40% des investissements pour une commande de chauffages et d’autres mesures d’économies d’électricité et de conseil ciblés. Pour participer, l’église doit être ouverte toute l’année, chauffée à l’électricité et ne pas disposer de commande de chauffage programmable et la consommation de la paroisse doit atteindre au moins 30 000 kWh par an. Un projet de l’association oeku Eglise et environnement.
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Après une charte de justice climatique, les paroisses protestantes et catholiques de Chêne, à Genève, lancent une pétition auprès des autorités communales. L’objectif: le recyclage intégral des flux issus de la biomasse. Pour Frédéric Piguet, de la Faculté de géoscience et de l’environnement de l’Université de Lausanne, qui travaille avec ces paroisses, «les déchets de la biomasse, méthane et dioxyde de carbone, sont sous-utilisés. Le dioxyde de carbone peut entrer dans la composition de différents produits, en remplaçant l’usage de carbone d’origine fossile». La valorisation des déchets et de nouveaux emplois attendent aujourd’hui le verdict communal.