Le pardon ne peut être qu’espéré
«Le pardon ne se laisse pas intégrer dans un système, dans un cadre», prévient Hans-Christoph Askani. «Dans l’histoire de la philosophie, ce thème a peu été abordé. Ce sont surtout des théologiens qui étaient en même temps philosophes, comme Augustin ou Thomas d’Aquin, qui s’y sont intéressés. Ou alors un penseur comme Friedrich Nietzsche, qui cependant avait une attitude hostile face au christianisme et rejetait le pardon.»
Le pardon vécu
«Un premier aspect, quand on est pardonné, est que l’on se sent libéré. Depuis la prison de la culpabilité, on ne voyait pas d’issue, mais le pardon promet une sortie de cette impasse», illustre Hans-Christoph Askani, qui en souligne le caractère positif. Mais il poursuit: «Malgré cela, il est difcile à la fois de se pardonner et de se laisser pardonner, car la question qui se pose est ‹Est-ce que je peux y croire?›.»
«La difculté de demander pardon est aussi considérable. On ressent le regret. On n’aurait pas dû faire quelque chose, cela ne disparaîtra plus. On ne peut s’en sortir seul, il est nécessaire que la personne lésée nous en sorte. Donc, lorsque l’on demande pardon, on devient dépendant de la réponse», résume le penseur. «Demander pardon implique donc d’exposer son intériorité.»
Le pardon impossible
Durant la seconde moitié du XXe siècle, plusieurs philosophes ont théorisé l’impossibilité du pardon. «Pour le comprendre, je distingue trois niveaux où le pardon pourrait entrer en jeu. Le premier serait ‹le pardon automatique› comme lorsque je bouscule quelqu’un. Sans réfléchir, je dis ‹pardon› et je sais que cette personne va me ‹pardonner›», explique Hans-Christoph Askani.
«Il y a un autre niveau que j’appellerais ‹le pardon économique›. J’ai commis un mal où je sais que quand je demande ‹pardon›, je suis dans le cadre où autrui a aussi été. Je peux donc compter sur sa disponibilité à pardonner. Il y a un troisième niveau du pardon: une situation dans laquelle je ne peux plus compter sur le pardon parce que je sais que ce que j’ai fait n’est pas pardonnable. Et c’est justement pour cela que j’ai besoin du pardon», résume le professeur, qui souligne que le philosophe Jacques Derrida a mis en avant cet aspect du pardon.
«On pourrait alors se demander: mais si c’est impossible, si on ne peut pas penser le pardon, que peut-on faire si ce n’est passer à autre chose?» Ce serait mal comprendre Derrida, pour Hans-Christoph Askani. «Pour lui, le pardon est quand même nécessaire pour que la vie commune puisse continuer. Mais il n’est pas entre nos mains. Il y a un pardon qui peut devenir réalité, mais qui n’est pas pensable.»
L’épilogue de La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli du philosophe Paul Ricœur est titré «Le pardon difficile». «Je crois que sur le fond les deux sont d’accord: le pardon ne peut être ni produit ni provoqué. Mais Ricœur met l’accent sur autre chose: les conditions pour que le pardon puisse se réaliser. Une première est de ne pas oublier. Une autre est le regret; en théologie, on parlerait de ‹contrition›. Celui qui a commis une agression en souffre.» Ainsi, le pardon n’est jamais acquis, mais l’on peut travailler à ses conditions nécessaires.
Pour aller plus loin
Hans-Christoph Askani recommande:
- «Le siècle et le pardon», dans la revue Le Monde des débats, Jacques Derrida, décembre 1999.
- «Le pardon difficile», épilogue de La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paul Ricœur, Le Seuil, 2014 (édition originale 2000).
- Amour et Justice, Paul Ricœur, Le Seuil, 2008 (édition originale bilingue, Mohr Siebeck, 1990).
- Etant donné, Jean-Luc Marion, Quadrige, 2013.