Les péchés capitaux, une culpabilité mal placée?
Encore une tranche de ce gâteau à la crème avant d’aller faire une sieste au soleil… La gourmandise, la paresse, l’orgueil, l’avarice, la luxure, l’envie ou encore la colère forment les sept péchés dits capitaux. Est-ce que cela signifie qu’ils sont les plus graves? Absolument pas. «Le terme "capital" vient du latin caput, la tête. C’est ainsi qu’on appelle ces péchés, car ils sont générateurs de presque tous les autres», explique l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pratique à l’Université de Fribourg.
«S’attaquer à un péché capital, c’est couper les ailes à d’autres péchés dont il est la source», précise également l’archiprêtre de la cathédrale de Strasbourg, Michel Wackenheim, dans son ouvrage Les sept péchés capitaux. «Ils forment une liste à partir de laquelle on peut décrire l’ensemble des péchés, non pas tant au niveau de leur gravité que de leur mécanisme», ajoute le père dominicain Gilles Berceville, professeur à la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris.
Présents dans la tradition chrétienne depuis que le moine Jean Cassien, originaire de Bethléem, les a catégorisés au Ve siècle, les sept péchés capitaux ont ensuite été repris pour la première fois par un pape: le pontife Grégoire le Grand élu en 590. Puis au XIIIe siècle, Thomas d’Aquin, qui a fait un vaste travail de réorganisation de la pensée morale à partir notamment de la théorie aristotélicienne des vertus, les a redéfinis dans La Somme théologique.
«Les médiévaux raisonnent beaucoup à partir de listes. Ce sont des techniques de mémorisation auxquelles s’ajoute souvent une symbolique des chiffres», souligne le père Gilles Berceville, membre de la Commission Léonine qui édite les écrits de Thomas d’Aquin. «Le symbolisme de sept désigne une forme de totalité, selon les sept jours de la création, les sept couleurs de l’arc-en-ciel ou encore les sept dons de l’Esprit», illustre l’abbé François-Xavier Amherdt.
Un examen de conscience
Outil d’analyse psychologique et de cadre moral, «la liste était enseignée aux chrétiens pour leur permettre un examen de leur propre conscience ainsi que pour les aider dans la direction spirituelle», explique le père Gilles Berceville. Et si elle a eu une place importante dans l’éducation au Moyen-Âge, nul n’était puni pour avoir commis ce genre de péchés, car ils relèvent du «for interne». En droit canon, il s’agit de ce qui concerne le jugement d’un acte par rapport à sa conscience personnelle.
«Ne sont susceptibles d’être punis que les péchés ayant trait au "for externe", c’est-à-dire ceux qui relèvent de la justice publique», ajoute encore le spécialiste de Thomas d’Aquin. Or, s’ils n’impliquent aucune condamnation publique, peut-on en être lavé? «Ils ne compromettent en rien le salut. La seule chose qui compte est d’en avoir conscience, de les avouer en les reconnaissant devant Dieu», relève François-Xavier Amherdt. Ainsi, les fidèles vont se confesser et le prêtre décide d’une pénitence, «mais tout cela se passe dans le secret et ne relève en aucun cas des tribunaux publics, ni même ecclésiastiques», insiste le père Gilles Berceville.
Passer à côté de l’essentiel
Cependant, si les péchés capitaux ne sont pas les plus graves, ils confrontent l’individu avec lui-même, le poussant parfois à une culpabilité démesurée. «Certaines personnes vont se sentir très coupables d’avoir mangé des sucreries ou de s’être mises en colère, à tel point que ces péchés peuvent être plus importants que tout dans leur vie spirituelle», déplore le professeur parisien.
Selon le père Gilles Berceville, la colère comme le désir sexuel sont naturels et bons. Tout est question de modération, comme l’illustre Michel Wackenheim. «Évitons de parler de la gourmandise comme d’un vilain défaut. Le défaut, c’est le trop manger et le trop boire, c’est ce "trop" qui est vilain.» Et Gilles Berceville d’ajouter: «Il y a quelque chose de subtil à comprendre et, malheureusement, l’Église catholique n’a pas suffisamment ce souci de la formation des consciences. Ce qui doit être mis en avant, c’est le respect de Dieu et donc d’autrui. Le reste, comme la gourmandise, peut être relativisé.» Il pointe le danger que peut apporter une telle liste de péchés sans explication. «Le risque est que les gens y développent un rapport très fondamentaliste alors qu’elle n’est pas détachable de l’expérience chrétienne orientée par le souci du prochain.»
L’orgueil, le pire des péchés capitaux
Péché capital le plus grave, l’orgueil se situe dans le rapport à Dieu. «L’orgueilleux ne met sa confiance qu’en lui-même et, par conséquent, se passe allègrement de l’aide de Dieu», explique Michel Wackenheim. «Au lieu d’accepter le don de sa filiation divine partageant l’amour du Père, l’être humain reste profondément poussé à la convoitise, c’est-à-dire à la volonté de se croire lui-même Dieu», déplore François-Xavier Amherdt qui souligne encore que l’orgueil peut mener l’humain à faire de soi-même et de son propre moi un absolu, engendrant l’ensemble des manipulations, perversions et tentations narcissiques.