«Pour tous les juifs, la Bible est le fondement et la source»
communauté juive libérale de Genève, en esquisse les contours. Interview.
Comment lit-on la Bible dans le judaïsme?
FRANÇOIS GARAÏ: Il faut bien se rendre compte qu’il y a la Torah (les cinq premiers livres de la Bible, NDLR) et les
autres livres bibliques. La Torah est lue très régulièrement à la synagogue. Elle se présente sous forme d’un rouleau de parchemin, même dans les assemblées les plus modernistes. Les voyelles de l’hébreu n’y sont pas écrites, ni la ponctuation. Ce texte ne peut donc avoir un sens que s’il est lu à voix haute. A notre échelle, cela correspond à une révélation: le lecteur révèle le texte à l’auditoire.
La Torah a pour nous un degré de validité, certains diraient de sainteté, plus grand que le reste de la Bible. Il est difficile de dire pourquoi. Sans doute parce que c’est un corpus très ancien grâce auquel les juifs déportés en Babylonie ont poursuivi leur existence en tant que juifs il y a 2500 ans.
Le dossier en bref
Le protestantisme ne reconnaît pas à une Église ou à une institution l’autorité de définir une interprétation correcte du texte biblique. Les croyantes et les croyants donnent donc des sens variés aux tensions qui existent dans le corpus biblique. Les tentatives de lire la Bible au pied de la lettre sont quant à elles, une invention moderne.
Dans le catholicisme romain, l’on reconnaît au pape et aux évêques l’autorité de canaliser la créativité des fidèles dans leur interprétation « dans une saine fidélité aux énoncés du Credo » alors que l’orthodoxie reconnaîtra d’autant plus facilement une interprétation nouvelle qu’elle s’inscrira dans une chaîne de sens remontant jusqu’aux pères de l’Église.
Si l’Église primitive a produit de nombreux écrits, elle s’inscrit dans une tradition où la transmission des savoirs se fait essentiellement par oral. D’ailleurs, Jésus n’a pas laissé d’écrits à ses disciples. D’ailleurs, aujourd’hui encore, le judaïsme fait de la lecture de la Torah, un événement oral.
Quelle est la marge de manœuvre pour l’interprétation?
Elle est à la fois infinie et limitée. Limitée parce qu’il existe déjà toute une tradition écrite de commentateurs, c’est-à-dire le Talmud et les Midrashim. Mais il reste que le texte biblique est interprété avec une extrême liberté. Lorsqu’un commentateur trouve une idée, il peut même modifier le sens du texte biblique en changeant les voyelles ou la ponctuation, par exemple. Son commentaire est légitime, même s’il est différent des autres. Mais il ne faut pas qu’il soit en contradiction flagrante avec ceux qui l’ont précédé.
Ce débat permanent est-il toujours bien vécu? Oui, puisqu’on en a l’habitude depuis des siècles et des siècles ! Par exemple, Rachi, un commentateur du XIIe siècle, est immensément respecté dans la tradition.vMais vous trouverez un autre interprète, quelques centaines d’années plus tard, qui écrira que Rachi s’est trompé ! Ce qui mène à des divisions de communautés, ce ne sont pas les divergences dans l’interprétation, c’est la façon de pratiquer.
Vous êtes un représentant du courant libéral. Le rapport au texte change-t-il d’une sensibilité à l’autre?
Non, dans le sens que pour tous les juifs, la Bible est le fondement et la source. Cela dit, les juifs dits orthodoxes considèrent que Moïse a reçu la tradition écrite et orale (la Torah et le Talmud, NDLR) dans sa totalité. Donc tout est normatif. Cette vision est contestée par la nature même des commentaires, qui sont contradictoires. Pour les communautés dites libérales, il y a certes eu une révélation au mont Sinaï, mais la tradition a évolué. C’est ce qui fait la différence entre traditionalistes et modernistes.
En quoi consistent les corpus que sont le Talmud et les Midrashim, concrètement?
Il s’agit de commentaires qui permettent de comprendre la Bible. Ils sont considérés comme des références. Les textes sont écrits, fermés dans le sens qu’on ne peut pas les modifier. Mais on peut agrandir ces corpus. Des commentateurs y entrent au fur et à mesure, comme cela a été le cas récemment pour un exégète du XVIIe siècle. C’est donc très ouvert… Mais avec quelques siècles de décalage.
Les juifs et les chrétiens ont en commun ce que ces derniers appellent l’Ancien Testament. Est-il possible de partager cet héritage sereinement?
Pour ma part, je peux très bien discourir d’un passage biblique, quel qu’il soit, avec un chrétien. Mais j’ai le sentiment que le chrétien aura tendance à le lire en fonction d’un point focal, qui est Jésus. Pour un juif, ce point focal n’existe pas. Nous lisons le texte pour lui-même. Je ne le vis pas comme une tension. Il s’agit d’une différence d’approche qu’il faut accepter.