Mère Teresa, sans Dieu ni foi

suisse Jacqueline Fritschi-Cornaz interprétant Mère Teresa / DR
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suisse Jacqueline Fritschi-Cornaz interprétant Mère Teresa
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Mère Teresa, sans Dieu ni foi

25 novembre 2022
Le 4 décembre sort en salles «Mother Teresa & Me», un film magistral sur la femme derrière le mythe, en proie au doute et à la solitude extrême. Rencontre avec la comédienne suisse Jacqueline Fritschi-Cornaz, par ailleurs productrice de ce long-métrage.

Le film s’ouvre sur un épilogue des plus saisissants. Sous la pluie, face caméra, le cadrage serré, Mère Teresa s’adresse à Dieu dans un cri de colère et de désespoir: «Tu m’as tout pris. Ton amour... Ton amour n’était qu’une illusion. Je ne crois pas en toi. Tu n’existes pas. Âme, paradis, Dieu.. ces mots ne veulent plus rien dire.»

Signé par le réalisateur suisse-indien Kamal Musale, «Mother Teresa & Me» part à la rencontre de cette infatiguable combattante, tantôt habitée, tantôt abandonnée par sa foi. Un destin de femme qui se mêle, par la fiction, à celui d’une jeune Indo-Britannique d’aujourd’hui, également en proie au doute face à une grossesse non-désirée et qui s’enfuit à Calcultta pour se retrouver. La comédienne suisse-allemande Jacqueline Fritschi-Cornaz, qui y incarne le rôle-titre, revient sur son désir fou de produire ce long-métrage. Interview.

Pourquoi ce film? Y a-t-il eu un déclic en particulier?

Le projet de ce film est né lors de mon premier voyage en Inde, il y a treize ans, pour visiter des studios de Bollywood. C’était la première fois de ma vie que je rencontrais des enfants de la rue. J’ai été bouleversée. Et surtout convaincue qu’il fallait faire quelque chose pour eux. Mais quoi? Dans le bureau du directeur des studios, il y avait un portrait de Mère Teresa. J’ai été saisie alors par l’envie de faire un film sur elle, non pas sur la sainte, mais la personne réelle derrière le mythe, avec toute sa compassion. Chaque matin, elle se levait pour retourner au chevet des plus pauvres. Je désirais comprendre où elle trouvait cette force.

Connaissiez-vous déjà, à ce moment-là, le fait que Mère Teresa avait perdu la foi?

Non, nous ne l’avons appris que pendant la recherche biographique que nous avons menée avec le réalisateur Kamal Musale. On a alors découvert ses lettres qui ont été publiées en 2007. Et il s’est avéré évident, pour nous, qu’il fallait raconter ces doutes et cette perte de foi. Cela rendait, à mes yeux, la poursuite de son engagement jusqu’à la fin de sa vie encore plus impressionnant. On espère que ce film pourra inspirer d’autres personnes, surtout les jeunes, à continuer à poursuivre les buts qu’ils se sont donnés, même s’ils connaissent des périodes de doute. Notre monde et notre époque ont encore besoin de personnes convaincues qu’on peut vraiment changer les choses sur cette terre, si on s’y engage pleinement.

Justement, comment comprenez-vous le fait qu’elle ait eu la force de poursuivre son engagement malgré tout?

En devenant sœur, elle a fait le vœu de s’engager jusqu’à la fin de la vie. Elle considérait sa mission auprès des plus pauvres comme un autre appel dans ce premier appel. Je crois que c’est aussi pour cela qu’elle a tant cherché à cacher qu’elle avait perdu la foi. Elle n’en a parlé qu’à son confesseur. En menant ces recherches sur Mère Teresa, j’ai été extrêmement touchée de découvrir la solitude dans laquelle elle vivait finalement. Elle ne pouvait pas se confier aux autres sœurs, elle devait tout garder pour elle, car elle était consciente qu’elle avait le devoir de continuer à endosser ce rôle de modèle.

Que vous inspire précisément ce modèle?

J’ai eu la possibilité de travailler avec les sœurs de Calcutta, dans un asile pour enfants handicapés. J’ai été impressionnée par ce modèle d’humilité et de dévouement. Une forme de renoncement aussi. Elles se donnent jour et nuit, dans une unité parfaite. Et tout d’un coup, elles reçoivent un appel de leur organisation les informant qu’elles doivent changer de site. Elles n’ont pas le droit de rester plus de trois ans au même endroit, pour éviter qu’elles ne soient émotionnellement trop attachées aux personnes dont elles prennent soin.

Quel impact a eu sur votre vie spirituelle le fait d’interpréter ce rôle?

Beaucoup de comédiens, à l’instar d’Isabelle Huppert par exemple, disent qu’ils n’accepteront jamais d’interpréter le rôle-titre d’un biopic, parce qu’ils disent avoir trop peur de ne pas être à la hauteur. Alors, en effet, j’étais habitée par un immense respect et je me sentais comme au bas d’une montagne à escalader. Endosser pareil rôle, ce n’est pas comme mettre un manteau et puis l’enlever. Cela demande un grand travail, je dirais même, dans ce cas précis, un travail spirituel. Je crois que cela n’a pas changé qui je suis, dans le sens où je ne suis pas devenue plus pratiquante pour autant. Mais je pense que j’ai appris à croire en mes objectifs. Grâce au travail d’équipe exceptionnel avec Kamal et ces centaines de personnes devant et derrière a caméra, j’ai eu la force de réaliser ce film magnifique. Cela m’a donné la conviction qu’on peut faire toujours beaucoup plus que ce que l’on pense au départ.

Le dossier de presse parle d’un «film caritatif». Qu’est-ce que cela signifie?

Le film a été entièrement financé par des fondations et des donations privées. Cela nous a pris dix ans pour réunir la somme nécessaire. Pour ce faire, nous avons créé la Fondation Zariya. Les bénéfices du film seront également entièrement reversés à des institutions et fondations qui œuvrent auprès des plus démunis en Inde, notamment en soutenant les enfants pauvres dans leur éducation et leur santé. J’espère que ce film puisse inspirer les gens à être plus dans le respect, la tolérance et la compassion.

La compassion de Mère Teresa émanait, au départ de sa foi. La Fondation Zaria s’enracine-t-elle également dans les valeurs chrétiennes?

Non, elle est plutôt basée sur les valeurs humanitaires de Mère Teresa, si nécessaires aujourd’hui, avec tous les conflits, les guerres et les crises que nous connaissons. J’aime cette parole du Dalaï-Lama: «L’éthique est plus importante que la religion». A mon sens, respecter son prochain vaut plus que le fait de respecter simplement des dogmes.

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Affiche du film "Mother Teresa & Me"
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